Troisième et dernier film issu de sa collaboration avec Pinter (après The Servant et Accident), Le Messager est l’un des plus aboutis de Joseph Losey. C’est un film inspiré, à la symbolique riche, d’une intelligence rare où le moindre son, la moindre tache de lumière sont à prendre en compte. D’entrée, le cadre est annoncé : une campagne anglaise magnifique, écrasée sous un soleil inhabituel qui fait surgir des pulsions dérangeantes et la musique obsédante de Michel Legrand qui tour à tour souligne les images ou s’offre à elles en contrepoint. Sur le fond, il s’agit d’une étude supplémentaire de la relation du maître et de l’esclave, déjà chère à Aristote et déjà magistralement exposée dans The Servant. On pense bien sûr à L’Amant de Lady Chatterley, mais le propos est ici à la fois plus serré (pas de satire économique) et plus pessimiste dans sa conclusion avec une fin inéluctable, comme il en va habituellement dans le théâtre de Pinter. Julie Christie, immense actrice qui n’a peut-être jamais été aussi belle, réussit le tour de force de faire émaner d’elle beauté hiératique et sensualité torride à la fois. Alan Bates est parfait dans un rôle de granit, presque muet. Quant au jeune Dominic Guard, il est à jamais inoubliable pour l’expression de ses grands yeux ouverts sur sa candeur brisée. Son personnage apporte tout le relief de l’œuvre que nous ne cessons de voir par son regard, justement. La fin (en « flash forward ») est d’une beauté cruelle, en forme de gouttes de pluie ruisselant sur une vitre ou de symphonie à jamais inachevée. Un chef-d’œuvre à voir ou à revoir de toute urgence.