Quelque part en Angleterre, au début du XXè siècle, Leo (Dominic Guard) arrive dans un immense manoir en pleine campagne. Sur le point de fêter ses 13 ans, il est invité par Marcus, son ami d’école, pour y passer l’été. Seul dans le jardin (Marcus étant malade), Leo remarque des plants de belladone qu’il reconnaît comme un poison. Scène symbolique et annonciatrice de son avenir, puisque ce séjour empoisonnera toute son existence. Ceci dit, Leo est considéré comme doué d’un certain pouvoir occulte. Interrogé sur ce point à table, il annonce modestement que ses pouvoirs sont limités et qu’il n’y a jamais eu mort d’homme.
Leo a bien des choses à découvrir. Tout d’abord cet immense manoir, quasiment un personnage à part entière, avec ses multiples pièces, escaliers, couloirs, ensemble symbolique d’un univers trop complexe pour lui. Ensuite, ce milieu dont on peut d’ailleurs s’étonner qu’il y soit introduit. Malgré une certaine complicité avec Marcus, on peut se demander comment et pourquoi sa famille a accepté de laisser Leo venir ici. Qu’en pensent les membres de la famille qui reçoit ? Ce sont des aristocrates, des personnes possédant suffisamment de biens pour ne pas avoir à travailler. Ainsi, dès le début, on observe la belle Marian (Julie Christie) complètement affalée dans un hamac. La maîtresse de maison est Mrs Maudsley (Margaret Layton), aussi capable de mondanités pour mettre sa maison et ses ouailles en valeur que pour diriger l’ensemble d’une main de fer quand quelque chose lui déplaît.
Au cours d’une sortie dans la campagne avoisinante, un petit groupe dont font partie Marian mais aussi Leo observe de loin un homme à l’aspect un peu rustre mais viril. Il s’agit de Ted Burgess (Alan Bates) régisseur-métayer du domaine voisin, qui se baigne dans un plan d’eau où il ne devrait pas accéder. Concrètement, personne n’aura le cran, malgré l’intention, de lui signifier la moindre interdiction. Très symbolique là encore, car tant qu’il ne menace pas un certain équilibre, en réalité Ted fait ce qu’il veut. Au détour de la conversation, on comprend qu’il plait aux femmes.
Concrètement, alors qu’on apprend avec Leo à connaître les membres de la maisonnée, tout va contribuer au malaise général du garçon. Les circonstances l’amènent à faire le messager, celui qui va entre Marian et Ted (The Go-Between du titre original).
Dans un cadre idyllique, Léo apprend la vie. En tant qu’invité modeste (aussi bien par l’âge que par la condition), il se trouve en position d’inférieur qui ne peut que subir la domination des adultes en général et de l’aristocratie en particulier. Il aimerait bien y obtenir une contrepartie, par exemple apprendre de Ted ce qu’il entend vraiment par flirter. Mais Ted sent que décidément ce n’est pas à lui de donner ce genre d’explication. Et Léo n’envisagera jamais ce genre de demande auprès de Marian (il sent confusément qu’on ne demande pas cela à une femme). Pourquoi cette retenue ? Sans doute en partie à cause de l’habillement des femmes. En effet, malgré de magnifiques robes très élégantes, celles-ci s’habillent pour cacher tout ce qu’elles peuvent, avec en particulier un col qui masque leur cou.
Au cours de cet été, Leo se retrouve donc constamment en position de dominé. Il aura beau demander comment Marian et Ted faisaient avant qu’il soit là pour leur servir de messager, rien n’y fera. Malgré ses timides tentatives de rebuffades, il ne pourra que poursuivre cette activité dont il sent confusément qu’elle contribue à faire de lui une sorte d’esclave qui bénéficie d’une fausse liberté. En effet, on le voit lors d’une de ses dernières courses, dans un plan où, s’éloignant du manoir, il devient de plus en plus petit et insignifiant dans un immense espace. D’ailleurs, on remarque que cet espace est dominé par le vert (couleur de l’espoir…) que Joseph Losey (dont la remarquable mise en scène est valorisée par la musique de Michel Legrand), aime utiliser de façon ironique (un de ses films s’intitule Le garçon aux cheveux verts). Ici, ses hôtes s’avisent que Leo ne dispose pas de la tenue estivale adaptée. On lui en commande une qui sera verte, mais dans laquelle il ne sera jamais vraiment à l’aise...
Leo apprend donc les rudiments de l’hypocrisie et de la dissimulation propres à la société où il se retrouve parachuté. Illustration avec Ted et Marian qui se cachent pour s’aimer. Confusément, le malaise de Leo culmine lorsqu’il apprend que Marian s’apprête à épouser sir Hugh Trimingham (Edward Fox), un beau parti si on excepte la vilaine balafre qu’il arbore sur un côté du visage, souvenir de sa participation à la guerre des Boers. Impuissant ( ! ) Leo n’a pu que contribuer aux rapprochements de Ted et Marian. Des rapprochements que la morale réprouve, mais qui illustrent l’hypocrisie de cette société où les conventions sociales dominent (les couches sociales ne se mélangent pas). Sans qu’on puisse déterminer ce qu’il ressent, Leo participe à un match de cricket où il se met en valeur. Ce que le spectateur (la spectatrice) adulte en retient, c’est la façon dont Ted et Marian réussissent, lors du repas de fête qui suit, à profiter d’un moment de complicité au vu et au su de tous, sans que cela puisse attirer le moindre commentaire.
Ce qu’on retient finalement, c’est que pour Marian et Ted, il s’agissait d’une merveilleuse histoire d’amour, même si elle s’est mal terminée. De son côté, ne possédant pas les clés des comportements d’un milieu qu’il découvrait, Leo s’est fait manipuler dans les grandes largeurs, et en est malheureusement resté marqué à vie. Pour Le messager, Joseph Losey a obtenu la palme d’or au festival de Cannes 1971, au grand dam de Luchino Visconti qui était en concurrence avec Mort à Venise.