Sept années après ma première vision du Miroir, j'ai profité de la ressortie en salle d'une copie restaurée pour réveiller mes souvenirs du film.
Problème : il ne me restait strictement aucun souvenir du film. Il a beau trôner fièrement dans mon top 10, je ne pourrais rien en dire à quiconque me demanderait d'en parler. Seule me restait cette certitude d'avoir vu un "chef d'œuvre".
Autrement dit : absolument rien.
J'appréhendais quelque peu la séance, me demandant comment j'avais pu arriver à apprécier autant un tel film tout en l'oubliant complètement.
La nouvelle vision fut salutaire, car rien ne changea.
Tel l'éveil qui suit un long rêve, je perds dès à présent, petit à petit, à nouveau mes souvenirs du Miroir. Ce qui est assez ironique en somme, car le film lui-même est constitué comme un rêve : scènes déconnectées, sensations qui priment sur la structure narrative, poésie plutôt que rationalisme désensibilisant.
Je pense que ce que j'aimais le plus dans l'esthétique du film, c'étaient les éclairs de beauté que je n'avais pas le temps de capturer : la colombe qui vole l'espace d'une seconde à côté du corps flottant, le coq traversant la fenêtre, ce regard caméra à abolir la nuit… Jamais Tarkovski ne souligne ce qu'il faudrait voir. Il faudrait tout voir. Mais à peine avons-nous eu le temps de comprendre que ce que nous voyons touchait (peut-être) à la grâce, que voilà celle-ci disparue à jamais.
Ou presque, car on peut toujours remonter la bobine. Mais alors là nous serions forcément déçus. Le film n'aurait pas le même goût. On ne peut jamais répéter à l'identique un moment passé.
A sept années d'écart, la perte de mémoire aidant, je me demande si je n'ai pas été dans le même état de confusion la première fois que j'ai vu le Miroir.
Plus j'en parle et moins j'ai envie de continuer cette critique, car tout devient plus intellectualisé et plus froid. Loin des chaleureuses sensations, au-delà des mots, qui font le cœur du film : la lumière cachée derrière une main d'un bâton en flammes. L'humidité verdâtre d'un appartement. La cristallisation des larmes par le froid.
Je suis assez surpris qu'un tel film ait une moyenne aussi élevée, car tout est fait pour que le spectateur perde contrôle et que nous soyons dans l'indescriptible. (En quittant la salle je n'ai entendu qu'une seule réaction :"C'était... déconcertant.")
Ce qui sont bien deux choses qu'une grande partie de l'humanité déteste perdre.
Je ne comprends pas non plus comment je peux écrire une critique descriptive du film, puisque c'est exactement le meilleur moyen que j'ai pour en gâcher la substance et renforcer les souvenirs que j'en ai.
Mais bon, c'est bien la caractéristique principale de l'amour : cela nous fait agir au contraire de ce que la "raison" nous dirait (du moins, si l'on adhère à la simpliste dichotomie "raison/passion").
Et là je veux crier au monde mon amour pour "Le Miroir" tout en sachant très bien qu'un tel acte pourrait sérieusement abîmer mon sentiment.
Alors je vais en rester à cela : je pense qu'oublier totalement un film peut être la meilleure preuve d'amour qu'on puisse lui faire.
J'ai donc extrêmement hâte à dans quelques années, quand j'aurai à nouveau oublié tous les détails du film.
En attendant, je refuse pertinemment d'en discuter à nouveau.