Il est des films qui ne se regardent pas, mais qui se vivent. Il est des films qui vous emportent dans un torrent, il est des films comme Le Miroir, d’Andreï Tarkovsky. Ici, peu importe de réellement comprendre ce qu’il se passe à l’écran. Tout est histoire de sensations, de sentiments, de variations, d’impalpable.
Après Solaris, le film qu’il appréciait le moins dans toute sa filmographie, Tarkovsky réalise donc Le Miroir, ce monument qu’est le film le plus personnel, en grande partie autobiographique, de sa carrière. Ce même chef d’oeuvre qui lui vaudra l’émigration hors de sa mère patrie, pour pouvoir continuer son oeuvre.
Le Miroir pourrait sembler réalisé à l’aube de la fin tant ce qu’il y montre semble complet, compris par la sagesse de celui qui a vécu sa vie. C’est ce qui est d’ailleurs dit dans le synopsis : Aliocha, mourant, revoit sa vie passée, et dans un désordre apparent, revit ses souvenirs. Cette maigre introduction n’est à aucun moment évoqué explicitement dans le film. Pas de fondu sur des souvenirs, pas d’interrogatoire ramenant Aliocha, ou plutôt Andreï aux différentes périodes de son existence. Pourtant on ressent bien ce caractère testamentaire, cette lumière qui s’abaisse sur une vie.
Le Miroir est plus qu’un film. Comme son nom l’indique si bien, il est pour Tarkovsky le reflet sur un écran de sa vie, de l’art, de ce qui l’a bouleversé et de ce qu’il l’a réjouit. Une alternance de sentiments, semblables aux variations chromatiques du film, tantôt noir et blanc, tantôt gris, tantôt éclatant. C’est une femme, une mère, filmée avec une tendresse et une passion infinie, presque palpable, nouvel écho à la vie du réalisateur. C’est aussi une voix, celle de son père, qui transforme l’homme longtemps absent en fantôme. Une voix qui déclame sa propre poésie, dans laquelle on ressent bien sûr la dureté comme la douceur du père.
Les souvenirs, entre campagne et appartement communautaires, et les visions, purs reflets de l’esprit, se succèdent, dans une mélancolie cotonneuse, qui ne semble jamais frappée de gravité. Tout est filmé tendrement, doucement, et les images s’ancre profondément les unes après les autres.
Tarkovsky, dans Le Miroir, se fait spectateur de sa vie, comme si il venait s’installer à coté de nous dans une salle de cinéma plongée dans le noir, en anonyme, en toute simplicité. Ou peut-être est ce universel ? Peut-être que ce miroir s’adresse à chacun d’entre nous ? Peut-être est ce une leçon de vie bouleversante qui me semble, dans sa douceur, marquée d’une confiance inébranlable.