Corsica

Joseph est l'un des derniers bergers du littoral corse. Le terrain sur lequel il travaille de père en fils est situé en plein coeur d'un projet immobilier.

Tous les autres propriétaires ont cédé aux pressions orchestrées par la mafia locale et vendu leur terrain à prix d'or. Joseph résiste, ne se laisse pas intimider mais tue accidentellement un type menaçant chargé de le convaincre d'accepter l'offre. Sans la moindre organisation il est contraint de fuir et devient un homme seul, traqué où les forces en présence sont largement disproportionnées et déséquilibrées. Pour seul soutien il ne lui reste que sa jeune nièce Vanni qui en son absence s'occupe des chèvres et surtout grâce à sa connexion aux réseaux sociaux fait naître une véritable légende en plaçant son oncle comme l'une des victimes du système mafieux. Ce qu'il est

Mes dernières expériences cinématographiques ayant pour cadre la Corse île d'amour et de beauté n'étaient guère concluantes même si cela s'était arrangé avec Borgo qui était d'ailleurs davantage un film carcéral. Mais après Une vie violente, A son image et Le royaume je m'étais dit que je ne verrais plus de films corses. Je n'en peux vraiment plus de ces mecs cagoulés et de leur cause nébuleuse à laquelle on ne comprend rien (mais finalement je crois avoir compris, seul le fric les anime), des meurtriers qui terrorisent la population dès qu'ils sont contrariés (on entend ici des phrases telles que "tu veux que je la mette dans un coffre ?"), qui s'entretuent sans se préoccuper des victimes et dommages collatéraux. Mais voir Alexis Manenti à l'affiche m'a incitée à prendre sur moi et me déplacer. J'aime quand enfin un réalisateur donne un premier rôle à un acteur qui se fait constamment remarquer dans des rôles de second couteau. J'ai bien fait de dépasser mes réticences car l'acteur (vu récemment dans Le dossier Maldoror) est ici encore plus remarquable et surtout absolument de taille à faire tenir un film sur ses (solides) épaules. De plus le scenario est costaud, d'une précision implacable, insufflant un suspense haletant dans des décors naturels d'une beauté saisissante. Il faut reconnaître qu'entre mer et montagne (je préfère le côté mer) la Corse n'usurpe pas son titre d'île de beauté et la course haletante de Joseph nous laisse tout le loisir de contempler. De plus, alors que je trouve l'accent du sud (Est de la France) assez insupportable, l'accent et la langue corses sont vraiment savoureux à mes oreilles.

Un sans faute selon moi pour ce film qui parle de spéculation foncière, de collusion entre la police et la mafia au point qu'il est impensable pour Joseph de se rendre à la police car il sait que c'est inutile mais aussi des réseaux sociaux qu'il devient difficile d'ignorer. Le moment où Joseph donne ses consignes quasi testamentaires à sa nièce est vraiment bouleversant car il ne se fait aucune illusion et sa mort est une option réaliste. La caméra du réalisateur traque admirablement la peur et l'épuisement de cet homme aux abois qui se bat pour sa vie mais aussi lutte pour tenter de sauvegarder le littoral livré à la bétonisation (brutaliste ? lol), au tourisme massif, à la manne de la spéculation immobilière. En parallèle à la course insensée en pleine nature d'un homme souvent au bord de l'épuisement se lève également sa nièce qui grâce à ses publications sur les réseaux alerte la population au point d'en faire l'icône d'une lutte régionale pour ceux qui veulent que l'île conserve son authenticité. En cela le film s'ancre parfaitement dans son époque. Facebook crée parfois des héros et fait trembler la mafia. Joseph le berger résistant devient le sujet d'une chanson, des pochoirs à son effigie tapissent l'île jusque sur certains rochers. C'est très beau.

Je me suis sentie frustrée à la fin du film que je trouvais insatisfaisante. Après réflexion, cette fin est magnifique, idéale, aucune autre n'aurait pu convenir à ce survival maquisard palpitant dans lequel Alexis Manenti (à demi corse) impose sa présence charismatique.