Le moindre geste par Galderon
Parler de ce film est particulièrement difficile, tout du moins si on s'y prend d'une manière… classique. Cela tient principalement au fait qu'il s'agit avant toute chose d'un projet dont la finalité était surtout le tournage en soi. Sa diffusion est presque accidentelle.
Difficile en effet d'apprécier ce film sans être un peu renseigné sur son histoire : s'occupant d'autistes et autres patients peu adaptés à la vie sociale, Fernand Deligny s'attache particulièrement à l'un d'eux, Yves. Ce jeune homme d'une vingtaine d'années se mure dans un silence total lorsqu'il est avec d'autres personnes, mais monologue continuellement dans la solitude. C'est donc par le biais d'un "jeu cinématographique" qu'il va permettre à Yves de s'approprier la parole et de se (re)connecter au monde.
On flirte ici avec l'art-thérapie. Et il est à noter que ni Deligny, ni Josée Manenti (son épouse à l'époque) ont alors tenu une caméra de leur vie.
Il s'agit donc d'une matière brute, faite au jour le jour par des non-cinéastes, basée sur un brouillon de scénario des plus basiques (deux "fous" s'échappent de leur asile, l'un d'eux disparaît, on suit le second qui va se lier d'amitié à une jeune femme, qui va le trahir en le ramenant à l'asile) et les récits délirants (au sens littéral) d'Yves qui libère sa parole. Faute de moyen, ce tournage s'arrête, les bobines sont oubliées pendant plusieurs années. Elles seront ensuite confiées à Jean-Pierre Daniel, qui se lance dans le défi d'en faire le montage (alors qu'il est caméraman de profession), écrivant tant bien que mal un récit avec cette multitude de fragments.
Tout ceci pour aboutir à un objet assez unique, qui mêle à la fois la découverte d'un homme atypique avec les Cévennes, la relation qui se développe entre lui et Josée, qui filme presque toutes les séquences (Fernand Deligny est plus à l'initiation du projet qu'à sa réalisation si on veut être précis), la ré-appropriation démente du langage (dont le flot torrentiel ferait presque penser à Jacques Prévert), mais aussi le geste d'un cinéma sans la moindre formation, qui s'apprend jour après jour, où le plaisir de jouer d'Yves et celui de cadrer de Josée sont les seuls vrais enjeux du projet… Tout du moins avant que certaines personnes, tombées amoureuses de cette matière, décident d'en faire un film, tant bien que mal.
En tant que spectateur, je suis resté en-dehors, disons-le net. J'avoue avoir piqué du nez. Mais c'est un simple constat, qui ne remet en rien en cause le bienfondé de ce film, destiné bien plus à être fait qu'à être vu (Josée Manenti confie qu'elle ne voyait que peu d'intérêt dans la projection des rushes, avant de voir ce qu'en a fait JP Daniel). On est là dans le domaine de l'intime et tout jugement de valeur est ici aléatoire et illusoire. Aussi mon 5/10 n'a d'autre sens que celui de dire que, sans avoir été intéressé en tant que spectateur, je suis admiratif de la démarche et du parcours impromptu de ce film.
Et comme il s'avère que, même quand ce n'est pas voulu, le cinéma est avant tout une histoire de communication avec l'autre, il s'avère que certaines personnes sont profondément touchées en le voyant. Ce que je peux comprendre. Et je trouve ça beau.
Une expérience à tenter. Il ne faut pas s'en vouloir si on adhère pas...