Quand j'ai appris que Dominik Moll, responsable du très bon "Harry, un ami qui vous veut du bien", proposait une version grand écran du formidable "Moine" de Lewis en cet été 2011 (que je venais justement de lire quelques mois plus tôt), mon sang n'a fait qu'un tour. Si c'était réussi, ça allait envoyer du pâté ! Hélas, j'ai assisté à une projection des plus décevantes.
Comme des centaines d'adaptations ratées avant elle, celle-ci souffre de deux défauts principaux. Il y a tout d'abord une certaine aseptisation destinée à contenter le grand public. Vous me direz, à un moment, on voit Déborah François à poil, à un autre Cassel. Et puis y'a même une petite scène olé-olé (la suite logique), un meurtre, et l'atmosphère reste plutôt sombre. Cool. Et évidemment, l'histoire n'a pas changé non plus par rapport au bouquin, et sur le papier elle dégage toujours un parfum de scandale : pour résumer, ça raconte la vie tourmentée d'un moine qui passe du "par tous les saints !" au "partout, les seins !", ou autrement dit, qui cède à la tentation, au péché de chair. Mais je vous répondrai que toute l'essence du roman de Lewis s'est ici envolée : Moll réduit un flamboyant esprit gothique, mélange parfait de surnaturel, de sorcellerie et de romantisme fiévreux, à une ennuyeuse peinture d'un classicisme sidérant. Imaginez un peu : vous vous attendiez à voir un tableau de Fussli ou Blake, et on vous en présente un de Nicolas Poussin. Le choc, quoi. Le sulfureux cède sa place au minimalisme, la rage lubrique à la rigueur linéaire. Même le personnage responsable de la déroute d'Ambrosio se résume à une simple tentatrice sans âme, alors que son rôle est en réalité beaucoup plus profond, sournois... Quant à notre pauvre moine, justement, Cassel a bien du mal à lui restituer son charisme originel, mais aussi, et c'est plus surprenant, à incarner sa déroute, qui confine à la folie : pour lui, c'est 1h40 de somnambulisme.
L'autre grosse mauvaise idée, c'est d'avoir charcuté l'oeuvre avec la délicatesse d'un boucher. Notamment sur le dernier quart d'heure, totalement "abracadabrantesque" ; c'est lui qui fait définitivement plonger le film. Faut avouer que la fin du livre est quand même bien space, mais bon, j'aurais vraiment kiffé que Moll ait les couilles de la retranscrire. Evaporées, donc, les intrigues amoureuses secondaires ; envolés, les complots, les ruses, les manipulations, le fantastique. On se retrouve donc avec des personnages principaux qui éclipsent les autres, si ceux-ci ont eu la chance d'être intégrés au scénario. Même Antonia (une Joséphine Japy insupportablement niaise) semble faire de la figuration. Par contre, il me semble qu'en contrepartie, certains pans de l'histoire ont été créés pour le film ; je n'aurais pas été contre s'ils avaient apporté quelque chose, mais ils n'empêchent en rien sa banalisation. Résultat : le relief et la densité de l'oeuvre de Lewis s'effacent, laissant la place à une trame cousue de fil blanc, car trop simplifiée.
En résumé, on peut affirmer que Moll s'est cassé les dents en proposant une version ascétique du "Moine" (même les effets spéciaux sont cheap), clairement pas à la hauteur des ambitions qu'induisent un tel projet. Rassurez-vous, si je n'avais pas lu le livre, je n'aurais pas été plus convaincu de toute façon. Recueillons-nous, mes frères, recueillons-nous pour qu'un tel gâchis ne se reproduise plus ! Et toi, Ambrosio, on avait dit pas de boogie-woogie avant les prières du soir, merde ! T'écoutes jamais Eddy Mitchell ?