Ray clôt brillamment son récit dans un troisième volet qui s’ouvre à une autre forme de grâce : Une improbable histoire d’amour, magnifique et soudaine, ce bien qu’elle soit vite obscurcit par la mort. Apu aura donc été incarné par cinq comédiens. Sur un espace de 30 ans. Ray aura malgré tout réussi à maintenir une continuité forte entre les trois films. Malgré son ancrage plus urbain, Ray continue d’aussi bien filmer la faune et la flore. Sans en abuser. Au moyen d’une matière sonore très riche.
Le paradoxe du mouvement est l’une des plus belles inspirations du cinéaste pour la trilogie d’Apu. Chaque film se ferme sur un départ. Ils résument cette marche en avant qui les habite. Fuite que le train va sans cesse symboliser à de nombreuses reprises, lien fragile et providentiel qui relie les êtres, bien qu’il soit par la même occasion le vecteur de la séparation et de la mort. « On ira voir les trains » disait Durga dans La complainte du sentier. Et c’est après avoir perdu sa femme qu’Apu, inconsolable n’est pas loin de se jeter sur les rails dans Le monde d’Apu.
Il y a plusieurs drames qui jalonnent cette trilogie et chacun a sa propre respiration si j’ose dire. On se souvient de chaque mort, comment elle est mise en scène, comment elle intervient. Si la musique de Ravi Shankar diffère d’un film à l’autre, on retrouve parfois dans L’invaincu ou Le monde d’Apu quelques séquences accompagnées par le thème majeur de La complainte du sentier, comme pour se rappeler d’où l’on vient. C’est très beau.
Finalement la plus belle chose réussie par la trilogie c’est son ancrage dans la culture bengali tout en lui soumettant une approche aussi universelle. C’est une histoire de transmission avant tout. Entre pères et fils, essentiellement. Avec les ambitions littéraires qui se rejoignent. Et le lien fragile voire hors champ qui les unit. Les dernières minutes du monde d’Apu sont probablement les plus belles, lumineuses et déchirantes de la trilogie.