Dans l'invaincu, le deuxième opus de la "Trilogie d'Apu", nous avions laissé Apu, orphelin de son père puis de sa mère, étudiant à Calcutta.
Dans "le monde d'Apu", notre Apu est un jeune adulte qui vient de finir ses études. Les (bons) emplois semblent rares et il vit chichement de leçons et de la publication de nouvelles dans des journaux. Et il lui arrive quelque chose qui sonne comme une farce. Il est invité par un ami, Pulu, au mariage de sa cousine. Mais la cérémonie est arrêtée par la famille de la mariée lorsqu'on découvre que le futur marié présente des signes de démence ... Pour sauver l'honneur de la mariée qui s'en trouverait à jamais maudite suivant les coutumes indiennes, Pulu lui demande s'il veut bien épouser sa cousine, ce même jour.
Comme dira Apu, "Invité à un mariage, je retourne chez moi avec la mariée".
La situation est compliquée car ils ne se connaissent pas du tout, Apu attend toujours la deuxième roupie pour pouvoir en faire trois alors qu'elle, Aparna, est issue d'un milieu très aisé. Et pourtant le miracle se produit car ils finissent par s'aimer profondément. La vie du couple est délicatement décrite à travers les petits gestes quotidiens de l'un ou de l'autre, leur complicité, leur tendresse.
Mais le drame guette car Aparna meurt en couches chez ses parents. Apu refuse de voir et de s'occuper de leur fils qu'il considère comme responsable de la mort d'Aparna. Débute une longue errance jusqu'à ce que ...
Comme dans les deux premiers opus, Satyajit Ray exprime toujours le chagrin indirectement à travers la contemplation de paysages ou de scènes de la nature mais aussi et surtout grâce à la musique de Ravi Shankar qui devient plus tendue ou plus déchirante. Ici, on ne voit pas la mort d'Aparna mais on la ressent très fortement à travers la tristesse infinie d'Apu appuyée par la musique.
L'histoire du "monde d'Apu" ne semble pas autobiographique au contraire de "la complainte du sentier " et de "l'invaincu". Mais de la même façon que les deux premiers films se terminent par un départ vers quelque chose d'autre, ici, ce sera pareil avec une splendide scène de la découverte du père et de son fils au départ vers un avenir rempli d'espoir et de reconstruction des deux personnages.
Reste à dire un mot du casting.
Les deux acteurs interprétant les rôles d'Apu et d'Aparna débutent dans ce film et auront une très longue carrière dans les films de Satyajit Ray.
L'acteur qui joue le rôle d'Apu s'appelle Soumitra Chaterjee. Il est parfait dans son rôle plutôt complexe de jeune adulte qui se cherche, se trouve puis se perd avant de repartir d'un bon pied.
L'actrice - sublime - qui joue le rôle d'Aparna s'appelle Sharmila Tagore et a 13 ans quand elle tourne "le monde d'Apu" ! Comme dirait le Cid, "la valeur n'attend point le nombre des années" ...D'après Wiki, elle est une descendante du poète Rabindranath Tagore. Elle deviendra une actrice fétiche de Satyajit Ray.
Dans ce film, elle est époustouflante : d'abord les yeux d'un noir très profond, soulignés par le khôl, ont vite fait tomber Apu mais je reconnais qu'il y a de quoi. Au début, silencieuse et effrayée, elle ne cesse de rajouter jour après jour, un petit quelque chose de tendre jusque dans les lettres qu'elle envoie à Apu lorsqu'elle est chez ses parents. Des yeux d'un noir très profond dans lesquels luit une petite lueur un tantinet espiègle qui, vite, s'éteint de peur qu'on s'en aperçoive...
Je crois que je vais tenter de trouver d'autres films où elle joue à commencer par son deuxième film, "la déesse" de Satyajit Ray ...
Voilà, ainsi s'achève le cycle d'Apu qui est vraiment très intéressant et très beau ; de superbes réalisations de Satyajit Ray dans des décors et des paysages magnifiques bien rendus par la photo noir et blanc.