And the audience feels infinite too.
En douze mots comme en cent, The Perks of Being a Wallflower (littéralement : les avantages d'être une plante murale), titre original que l'on préférera au rasoir "Monde de Charlie", est un des plus beaux films d'ados qu'Hollywood ait produits ces trente dernières années ; aussi important que le génial Breakfast Club de John Hughes l'avait été pour la jeunesse américaine des 80s. Sorti en France début janvier, The Perks était littéralement la première grande surprise de l'année 2013, et aux yeux de votre serviteur, restera un de ses dix meilleurs films. Ouais, rien que ça. Et les cyniques peuvent chouiner leur fiel autant qu'ils veulent, leurs âmes n'en seront pas moins vouées à la damnation éternelle, incluant la privation d'Oréos.
Parce qu'on tient une oeuvre parfaitement personnelle, avec The Perks. Amoureusement produite, réalisée et montée par l'auteur même du best-seller éponyme dont le scénario est tiré, et bénéficiant d'un travail d'adaptation impeccable. On aurait pu écrire "donc" car on n'est jamais mieux servi que par soi-même, seulement c'est faux, les écrivains se révélant réalisateurs-nés, ça se compte sur les doigts d'une patte de hamster. Banco. L'enfant de la génération désenchantée Stephen Chbosky maîtrise, domine son récit dans toute sa longueur, de son âme et de ses tripes. Son film est l'archétype du bébé couvé, adoré, dont on imagine la moindre scène fantasmée de longue date jusque dans ses moindres détails des années durant, le "precious" de son Gollum, si vous voulez, et ce qui est génial, c'est que le spectateur voit à chaque fois, et sans le moindre mal, où il veut en venir.
Le fantasme invitant à l'obsession, Chbosky se devait de chiader les moindres aspects de son film, à commencer par sa distribution, toute la beauté de son histoire reposant sur ce qui unit ses trois héros. Son spectacle est donc porté vers la grâce par un brelan d'as de jeunes acteurs, à la tête duquel se trouve l'impressionnant Logan Lerman, dont la performance toute en nuances était tout à fait oscarisable. Suit immédiatement l'inénarrable Ezra Miller, qui parvient à transcender son personnage pourtant un poil cliché de gay flamboyant. Suit tout aussi rapidement la lumineuse Emma Watson, qui n'a pas fini de nous impressionner, et bénéficie ici d'un soin presque amoureux de la part du réalisateur tout au long du film. Pratiquement chacune de ses scènes avec Logan Lerman captive, et bouleverse carrément sur la fin ; leur alchimie fonctionne dès leur premier moment ensemble, durant le match de football (dès le mémorable plan d'introduction du personnage de Sam, en vue subjective de Charlie), et ne faiblira pas un seul instant.
Naturellement, qui dit film générationnel dit bande originale générationnelle. Là aussi, le film roule des mécaniques, sa virée romantique portée par une playlist de tubes merveilleusement 80s (Bowie, Sonic Youth, The Smith, New Order !).
Comme suggéré plus haut, la mise en scène de Chbosky se montre merveilleusement digne de son interprétation, de sa bande originale, et de son matériau narratif. On n'insistera jamais assez sur la qualité de l'emballage : alerte, inventif, toujours à mille lieues du mauvais goût, même lorsqu'il joue périlleusement avec les pires clichés du genre teenager. Tout fonctionne. Ou presque tout, ce qui est déjà miraculeux. Et ça, c'est la touche finale : à partir du moment où l'on accepte le langage du film, ses lubies, son emphase totalement adaptée à l'âge exploré, l'harmonie et le brio constant de The Perks saute aux yeux. Les scènes mémorables voire cultes se succèdent, de la danse du bal sur l'irrésistible Come on Eileen de Dexys Midnight Runner (point pivotal dans cette histoire de salut par la connexion à l'Autre, et de par le fait que les amateurs du film en tombent généralement amoureux à cet instant-là) aux deux traversées du tunnel, sublimes et grisantes, éclatants modèles d'images-emblèmes assurant à leur film la postérité par leur mélange de simplicité et d'originalité. Tout ce que l'on pourra reprocher à The Perks, c'est sa durée, inhabituellement courte ; mais cette dernière participe sans doute de l'effet qu'il produit... comme une affectueuse mandale dans la gueule. C'est vrai, c'était ça, la jeunesse !
Bien sûr, certains pourront reprocher l'étonnante noirceur de The Perks, qui, au détour d'un morceau de pelloche, nous balance ses traumatismes d'enfance et ses suicides de meilleur pote là où l'on s'attendait à du "Parker Lewis ne perd jamais". Mais la couleur était annoncée dès son premier tiers, lors d'une scène, pivotale elle aussi, où Charlie évoque ledit suicide dudit meilleur pote, laissant Sam muette (là encore, performance parfaite de Watson) ; c'est généralement à ce moment là, essentiellement grâce aux performances de Lerman et Watson, qu'on réalise que The Perks ne ressemblera à rien de ce que l'on a vu dans le genre. Assurément, il tutoie davantage le drame que Breakfast Club, qui parlait d'errances existentielles de lycéen typique, mais sans autre dommage collatéral qu'une petite déprime. Et ? Cette mélancolie électrique est l'essence même du film, et ce qui fait vibrer toutes les cordes nostalgiques chez le spectateur suffisamment trentenaire pour apprécier. Un parfum et un sujet qui rappellent le monumental roman Norwegian Wood (La Ballade de l'impossible en VF) de Murakami Haruki, ce qui n'est pas rien. Chbosky touche aussi juste en abordant ces thèmes délicats que dans ses portraits de personnages iconiques. Qui n'a pas connu dans son adolescence au moins un Charlie, une Sam, ou un Patrick ? Leurs drames personnels n'en ont que plus d'impact. Tout fonctionne, jusqu'au twist final, qui présente le double-avantage de surprendre sans pour autant être indispensable à l'appréciation du spectacle.
The Perks of Being a Wallflower est donc un immense film, unique et précieux, mû par l'émotion sourde des souvenirs de jeunesse comme l'était le grand Stand By Me de Rob Reiner, ou le génial Almost Famous de Cameron Crowe, dont il partage la nature de roller-coaster parfaitement "love & pop", sucré-salé, doux-amer. Douze ans, qu'il est sorti, le Crowe. Un film-culte par décennie, c'est le moins qu'on puisse attendre d'Hollywood.
Note : M6 Distribution n'a pas édité de version bluray de ce film. Un film américain, comprenant une tête d'affiche (Emma Watson), ayant plutôt bien marché en salles, en 2013. Pas de bluray. Alors qu'ils en ont un tout prêt aux USA. Si quelqu'un a l'adresse du gars responsable, qu'il me la passe en pm. Merci.