Treize ans déjà après le Monde de Nemo, certains s'attendaient à une redite, à un bégaiement d'une formule gagnante que le studio Pixar se serait contenté d'appliquer à peu de frais, pour une garantie de succès paresseux.
Si les toutes premières minutes semblent confirmer ces médisances, Le Monde de Dory réussit cependant à se démarquer, à nager dans d'autres eaux que celles où avaient barboté nos deux poissons clowns. Le monde en question, chez Dory, est plus petit, se limitant pendant presque toute l'aventure à un centre océanographique. Mais ce monde offre suffisamment de variété pour offrir, malgré l'aspect commun, l'évasion et l'aventure. Dory en est rempli. Loin d'un voyage identique à celui de Marin, Le poisson chirurgien s'embarque dans un ride assez agréable, parfois surprenant dans les lieux qu'il visite, lui qui écume les coulisses du parc monde de ses origines.
Le Monde de Dory se renouvelle en partie aussi en ce qu'il offre au public une galerie de personnages déjantés à l'image de son poisson vedette. Tous deviennent de plus en plus attachants et sont la plupart du temps bien exploités. Mais celui dont le public se souviendra immanquablement, c'est ce poulpe qui se camoufle sans cesse et qui ne manque pas de ressources. Ce sont les gags qui le mettent en scène qui font mouche, ce sont ses apparitions qui dévorent l'écran, même s'il y a aussi un requin baleine qui se cogne aux murs de son lieu de vie, ou encore un béluga privé de son éco location ou un oiseau ahuri qui n'en fait qu'à sa tête et suit son idée du moment, comme Dory.
Les péripéties ne sont pas en reste, la plupart du temps bien emmenées et gérées dans ses deux premiers actes, offrant parfois un ride bienvenu ou des épisodes aussi drolatiques qu'incroyables. Jusqu'à ce que Pixar essaie de renouer, avec la séquence du bassin tactile, avec un des passages les plus remarquables de Toy story 3, avec ses mains potelées d'enfants plongeant dans l'eau, menaces aussi inquiétantes que la rentrée des enfants de maternelle vue par les jouets perdus et victimes de jeux plus ou moins violents et traumatiques dans la série vedette du studio à la lampe.
Mais malheureusement, Pixar trébuche sur des aspects où l'on ne l'attendait pas.
Car Pixar ne réédite l'exploit que dans quelques hoquets, peinant à voisiner ses plus hauts faits d'armes, ses oeuvres les plus marquantes. Car si la perfection technique est toujours là, comme d'habitude, John Lasseter et ses hommes livrant des très jolis objets, la touche Pixar semble en sourdine, peut être éteinte. Si Vice-Versa et, dans une moindre mesure, Le Voyage d'Arlo avaient rassuré sur le talent Pixarien, Le Monde de Dory, comme Cars 2 ou Monstres Academy, aussi beau soit-il, est dénué de cette touche magique et indéfinissable qui faisait des films d'animation Pixar des longs métrages à part, des chef d'oeuvres d'émotions et de fantaisie qui mettaient toujours la barre plus haut. Dénué sans doute de la sincérité des débuts tonitruants et du regard neuf porté sur le média.
Le Monde de Dory est agréable à l'oeil et se suit sans difficulté et sans ennui, certes, mais il ne semble être, au final, qu'un produit de consommation courante qui peine à susciter l'émotion, utilisant le trauma de son personnage principal de manière pataude en le réduisant à l'habituel gimmick du flashback. En simplifiant son propos et ses enjeux aussi. De manière étonnante, Pixar faillit en ce que Le Monde Dory, finalement, ne parle jamais au coeur, quand pourtant le studio excellait en ce domaine il n'y a pas si longtemps, quand une cowgirl chantait par exemple, dans un sanglot, La Chanson de Jessie.
Ce qui caractérisait aussi les premières oeuvres Pixar, c'est cette scène finale montée en climax émotionnel, imparable et tutoyant les sommets, mouillant parfois les yeux, comme quand des monstres offraient une dernière course poursuite haletante et une séparation déchirante. Ou des jouets dont on réfléchissait sur la condition et la finalité. Le Monde de Dory offre quant à lui un troisième acte bancal qui enquille les séquences sans grande logique, bigger than life et hors sujet, achevant de faire de ce plus récent opus une résucée de film d'action lambda et montés à la chaîne.
Tout cela mène à penser parfois que Pixar a perdu la formule magique, que le studio a cessé de marcher sur l'eau du succès systématique. Cela conduit à penser que Pixar, au fond, est devenu un studio comme les autres. Qui a du talent, souvent. De la fantaisie parfois. Mais qui trébuche, aussi. Et qui commet certaines erreurs, certains faux pas.
Cela signifie-t-il que les Lasseter boys auraient définitivement perdu leur mojo ?
Behind_the_Mask, qui a la mémoire qui flanche et qui ne se souvient plus très bien.