À Cannes, on a le droit à un panorama presque exhaustif du cinéma, mais paradoxalement, on est rarement surpris. Parce que les étiquettes sont rigides, et que l’on se prépare (à la longueur, à l’âpreté, à l’expérimentation, à l’exotisme) en ouvrant nos œillères.
Pour qu’il y ait réellement surprise, il ne faut pas savoir à quoi s’attendre : et sur ce coup-là, Romain Gavras a pris la Quinzaine de court avec une insolence tout à fait bienvenue. Vu le pedigree du bonhomme, on pouvait anticiper un certain cahier des charges (exactement comme le fit Gaspard Noé avec son worst of Climax le lendemain), alors qu’il livre ici la meilleure comédie française de l’année.
Le monde est à toi est une opportunité d’éclate offerte à un collectif éclectique : des jeunes qui pourront jouer à PNL, des monstres sacrés (Cassel, Adjani) en roue libre, des déjà comiques (Katerine, Damiens) en terrain conquis avec des rôles taillés à leur démesure, un scénar à tiroirs où la trahison sert de moteur à renouvellement constant, une esthétique clinquante et baroque qui pousse tous les codes dans le rouge. Soit un festival bigarré qui fait presque toujours mouche : Le monde à toi est très drôle, nerveux et culotté, et fait du plaisir sa première motivation.
La réussite du film tient dans sa densité : pas un plan qui ne soit pensé comme un clip, pas une séquence qui n’enchaine les gags, visuels, de dialogue ou de situation : tout passe très vite, l’efficacité est constante, et les petits détails comiques (par exemple, la découverte des Illuminati par Cassel ou Katerine avocat jovialement véreux de la communauté Africaine) trouvent toujours leur place dans les multiples rebondissements.
Esthétiquement, Gavras s’amuse : il singe autant Tony Scott que Guy Ritchie, lorgne du côté de Tarantino et met ses talents de réalisateurs de clip au profit d’un récit pop : coloré, speedé, et qui n’oublie jamais le ridicule (la quête première du protagoniste, devenir l’ambassadeur du Mr Freeze au Maghreb, la débilité profonde de la quasi-totalité des personnages) et le kitsch pour surfer sur une ligne de crête ténue : le divertissement délirant et lucide. C’est sur ce point d’équilibre que Gavras pose l’une de ses cartes maîtresses : l’identité nationale. Car s’il joue sur les terres ultra codifiées du thriller à l’américaine, Le Monde est à toi ne délaisse jamais son territoire d’origine, et offre un brassage culturel bigarré (des banlieues à la justice, des paumés aux caïds, de la jeunesse à la cougar) aussi flamboyant qu’enthousiasmant. La folle bande originale, de Booba à Voulzy en passant par PNL, Sardou et Balavoine en atteste avec brio : arriver à déclencher le même enthousiasme sur des titres aussi éclectiques, est le signe d’un indéniable talent, qui fait beaucoup de bien au terrain nécrosé de la comédie française.
(7.5/10)