Ce qu'il y a de bien avec le cinéma, ce sont les redécouvertes de film qui ont généralement plusieurs décennies.
Avec le recul et notre regard actuel on peut les jauger plus qu'alors auparavant et s'apercevoir pour certains de leur incroyable modernité, tel le cas de ce "Le monde, la chair et le diable".
Quel titre !
Tout un programme qui résume bien pourtant ce film d'anticipation en filigrane : la chair, la tentation, la haine et enfin le monde. Un monde déserté placé ici en 1959 (date de sortie du film) où presque toute l'humanité disparaît pratiquement.
Bloqué au fond d'une mine en Pennsylvanie, Ralph Burton (notre "héros" Harry Belafonte) attend des secours et après cinq jours, finit par se libérer mais c'est pour s'apercevoir à la surface que pratiquement toute forme de vie animale et terrestre à disparue ! Arrivé à New York, il traverse des avenues désertes et organise sa survie, tirant derrière lui un chariot au pied de gratte-ciel abandonnés et se demandant s'il est le seul survivant sur la Terre...
Ce qu'il y a de bien avec ce film, c'est que non seulement il nous permet d'avoir les sentiments d'un homme seul et désemparé, mais aussi de comprendre ses actions dans des décors hallucinants d'un New-York vide de tout habitants. Les décors marquent : à la vision de voitures abandonnées en masse dans un gigantesque embouteillage monstre sur l'un des ponts de New York, se superposent des plans de buildings et rues désertes dans un noir et blanc somptueux.
Evidemment Ralph n'est pas seul dans cette ville crépusculaire.
Il y a aussi une femme, seule, doutant elle aussi, scrutant et épiant cet homme depuis un moment. Est-il dangereux ? Pourra t'il devenir son ami ? Et avec cette jeune femme blonde s'apposent d'autres questionnements propices a ce film d'anticipation : Comment a t'elle survécu (Harry était dans une mine donc à l'abri de radiations ou gazs nocifs, mais elle ?) ? Le comprendra t'elle ? Surtout... pourra t'elle l'apprécier, voire l'aimer dans une époque où, en plus du spectre de la guerre froide rôdant, il y a aussi la ségrégation raciale.
Puis, s'adjoindra un troisième personnage. Un autre survivant. Un homme aussi. Blanc, audacieux, jaloux et avec des préjugés, surtout concernant Ralph. La tension monte lentement et chacun s'arme alors....
Ce qui marque bien après le film, c'est sa subtilité et ses décors.
Les décors, je l'ai mentionné brièvement mais j'y reviens : Comment tourner dans une ville de 8 millions d'habitants et donner l'illusion d'une cité vide ? C'est ce tour de force véridique qui impressionne quand on comprend que Ranald Mac Dougall, le réalisateur, refuse tout trucage ou effet optique saugrenu par souci d'authenticité. L'équipe décide alors de tourner les plans extérieurs (près de 50% du film) entre 4h et 6h30 du matin pendant de nombreuses semaines grâce a une pellicule noir et blanc permettant de travailler en lumière naturelle sans éclairage ni matériel à installer au préalable. Evidemment le tout est minuté avec une précision d'orfèvre ce qui permet à la production d'interdire la circulation, d'éteindre tout éclairage municipal et de demander aux habitants de ne pas se montrer aux fenêtres.
L'impact est saisissant et proprement ahurissant.
La fin du monde bien avant l'heure pour un film tout aussi atypique dans la production de l'époque qui privilégiait grosse bêbêtes radioactives (hein quoi Tarantula ? Hein, Les monstres attaquent la ville ?) là où le film de Mc Dougall ne filme pas le pendant de la catastrophe inévitable, mais l'après, demeurant subtil quand au pourquoi du comment on en est arrivés là et laissant ce questionnement au spectateur. Bien sûr des indices planent. Notamment des journeaux et dernières émissions radio que récupérera Ralph mais je ne vous gâcherais pas plus votre plaisir si par la suite vous avez envie de voir le film...
Une vraie petite perle méconnue de SF.