Une jeune éditrice parisienne passe quelques jours chez son père,qui vit sur la Presqu'île de Crozon,dans le Finistère.Apprenant qu'il y a là une bibliothèque contenant un département "romans jamais publiés",elle s'y rend et y découvre un bouquin extraordinairement bon signé Henri Pick.Renseignements pris,ce mystérieux auteur,maintenant décédé,était le pizzaïolo local,un gars que personne,pas même sa famille,n'a jamais vu écrire ni même lire un livre.Daphné publie l'ouvrage,qui devient vite un énorme best-seller.Mais Jean-Michel Rouche,célèbre critique littéraire et animateur télé,met publiquement en doute le fait que Pick en soit l'auteur.Obsédé par cette histoire,il se met à enquêter afin de prouver qu'il a raison,secondé par Joséphine,la fille de Pick,qui veut prouver le contraire.Le film est écrit et réalisé par Rémi Bezançon,solide cinéaste à qui on doit les excellents "Ma vie en l'air" et "Le premier jour du reste de ta vie".Il adapte ici un roman de David Foenkinos,un de ces nouveaux auteurs à la mode sans grande originalité.La surprise n'en est que meilleure car cette enquête haletante voyageant sans cesse des sphères littéraires parisiennes au littoral breton se révèle vite passionnante.Bezançon calibre impeccablement le rythme de l'histoire,prenant le temps nécessaire pour installer les scènes sans pour autant s'apesantir,et il parvient à entretenir jusqu'au bout le mystère qui entoure la paternité de l'oeuvre.Les deux enquêteurs rencontrent tout un tas de personnages parfois bizarres,souvent menteurs,liés de près ou de loin à l'énigmatique Henri,tandis que les rapports entre Rouche et Joséphine,tendus au début,évoluent vers une subtile histoire d'amour.Chacun d'eux évolue en cours de route,l'intello cynique s'humanisant et la fille pragmatique et terrienne apprenant à l'apprécier.Cette enquête les aide en outre à avancer dans leurs vies jusque-là sclérosées.Jean-Michel avait perdu le feu sacré et sa quête obsessionnelle le revigore et ravive sa passion pour l'écriture,tandis que Joséphine,mère célibataire meurtrie par une séparation douloureuse,sort de sa semi-dépression et redécouvre la vie au contact de son fantasque acolyte.Et puis il y a le fameux mystère Henri Pick,dont l'habile solution nous sera finalement dévoilée.Mais peu importe au fond que le gars soit l'auteur du roman ou non.Ce qui a fait du livre un succès,ce qui importe réellement,c'est justement le mystère,la beauté de l'histoire de cette oeuvre découverte au fin fond d'une bibliothèque armoricaine où un fondu de littérature extravagant a créé un refuge pour les recalés de la gloire,ceux qui n'ont jamais réussi à être publiés.Un manuscrit génial qui dormait dans les rayonnages poussiéreux d'un endroit improbable imaginé par un libraire à l'âme poétique,à des centaines de kilomètres des maisons d'édition parisiennes,ça a de quoi faire rêver.Et le rêve,c'est ce qui manque à notre société matérialiste,c'est ce dont nous avons besoin.Même si le livre est bon,ce qui l'a fait vendre,c'est l'énigme qui l'entoure et la beauté de l'histoire de sa découverte,ce que Daphné appelle le storytelling.Sorti dans des conditions normales,le bouquin aurait peut-être,voire sûrement,été un échec,mais là il est devenu un phénomène de société.Qu'il s'agisse ou non d'une imposture,il a réveillé chez le public sa part de curiosité et d'innocence,cette envie de croire à l'histoire quand elle est belle,même si elle l'est trop.On en revient à "L'homme qui tua Liberty Valance" de John Ford:"si la légende est plus belle que la réalité,écrivez la légende".Fabrice Luchini,le génie à l'état pur,joue à merveille des nuances d'un personnage déstabilisé mais déterminé.C'est une Camille Cottin étonnante ,pas franchement belle mais tout-à-fait charmante,qui lui donne la réplique avec justesse et charisme,parvenant à être totalement crédible en institutrice bretonne blessée par l'existence.La jolie Alice Isaaz est très bien en éditrice opportuniste,ainsi que Marc Fraize,le flic flou dans "Au poste!",en bibliothécaire de flashbacks.Seul Bastien Bouillon,jeune écrivain ambitieux,manque de présence et constitue le maillon faible.A noter l'apparition d'Hanna Schygulla,autrefois actrice fétiche de Fassbinder.