C’est une version revisitée de la symphonie du nouveau monde qui se fait l’hôte de ce film. Un ensemble de cuivres sourds, lancinants et envoûtants qui au gré de l’avancée des navires Anglais deviendront stridents, stressants. Nous sommes en 1607, le Capitaine Smith, bien qu’enferré dans une cale, découvre par un envol d’oiseaux que le rivage est proche, déjà il s’imprègne avec passion de cette terre promise que lui et les autres membres de l’équipage ont tant espérée. A ce moment, Terrence Malick vous a inoculé un poison, doucereux, éthéré qui tout du long va vous pénétrer, vous imprégner, vous broyer l’âme. Un poison doux et amer qui vous transporte vers un ailleurs. Dans un univers où l’état de nature, cher à Jean Jacques Rousseau, est loi. Un monde qui illustre que l’homme, dénué de toutes les rutilances de la civilisation, évolue sereinement dans une société quasi idéale, que n’aurait pas reniée Thomas More, où la jalousie, la barbarie, la possession sont imperceptibles. Tout le film repose sur cette antinomie de ces deux communautés qui se côtoient pour mieux se rejeter ensuite par trop de différences. Les Anglais, mais ça aurait pu être n’importe quelle autre nation occidentale de l’époque, sont violents, suffisants, vulgaires malgré leurs attributs. Leur présence est une agression permanente, pour les autochtones, mais également pour l’environnement. Plus prompts à construire une forteresse qu’à cultiver une simple terre, ils sont incapables de tirer partie de cette luxuriante nature. Et qui d’autre mieux que Malick était capable de mettre en valeur ces espaces vierges ? Il filme, à la manière d’un Turner, une voilure de bateau sur fond crépusculaire, il fait chanter le vent aux travers d’herbages qui ondulent et ses paysages sont des offrandes à nos yeux éblouis… L’humain ici n’a pas sa place. Les éléments ont l’ascendant sur lui. De la mer, dont on entend que le reflux et les clapotis sur les bateaux face à des hommes muets. Des bruits de la civilisation, hors combats qui sont délibérément assourdis (la cloche, les discussions…). Et même les relations passionnelles dont on extrait que les pensées et qui sont exprimées en voix off. Cette remarquable élégie nous renvoie à notre état : la terre ne donne qu’à celui qui l’apprécie. Visiblement nous n’avons pas perçu le message. Inouï et incomparable est ce film. Tout y relève de l’excellence, et le choix de Q’ Orianka Kilcher dans le rôle de Pocahontas (dont on ne cite jamais le nom) y est pour beaucoup. Elle donne par sa candeur, sa fraîcheur et son éclatante beauté toute la puissance à ce personnage très attachant. Tiraillée entre le vil Capitaine Smith joué par un Colin Farrell surprenant et John Rolfe, le « rédempteur », tenu par le magnétique Christian Bale, elle offre au cinéma l’une de ses plus belles héroïnes.