Un film-fleuve prodigieux, qui confond les sens et fige la réalité

Le Nouveau monde est le quatrième film du réalisateur américain Terrence Malick. Il reprend la légende de la princesse indienne Pocahontas et de son idylle avec le capitaine britannique John Smith. Plus qu’une simple histoire d’amour, le film se veut un hymne à l’Amérique sauvage et vierge du 17ème siècle, une odyssée sur la cohabitation difficile entre deux peuples fondamentalement différents, une histoire d’amour entre deux êtres, tout simplement.


Comme dans tous ses films, Terrence Malick prend le temps de construire son récit, non pas par le scénario qui n’a rien de génialement inventif, mais par son atmosphère, avec la fameuse voix-off et la toujours fabuleuse photographie. Il débute par des scènes aquatiques où des corps de jeunes femmes indigènes ondulent avec grâce et fluidité dans les eaux de l’Atlantique au son d’une voix semi-divine de par son omniscience et son mysticisme “Dear mother, you fill the land with your beauty, you reach to the end of the world”¹ À cette scène enchanteresse et presque primitive, il oppose l’arrivée conquérante des colons européens, fiers, avides de richesse, de terres et d’un nouveau départ. Les premiers contacts entre les deux peuples restent très limités jusqu’à la rencontre entre Pocahontas et John Smith.


Le rythme du film suit les battements de cœur de la jeune femme. Son amour avec John Smith transcende la caméra, qui enchaîne les plans des deux amants au milieu de la nature, bien souvent sans la moindre parole échangée. Les mots sont incapables de retranscrire cette complicité et cette attirance qui se nouent entre eux. Cet amour inconditionnel et silencieux est porté à son paroxysme par les nombreuses cassures et ellipses au gré du récit. Ces changements abrupts mettent en relief le contraste immense qui existe entre leurs deux peuples et qui malgré eux, va affecter leur relation. Malick ne se prive pas d’opposer des séquences d’harmonie totale à des scènes de conflit où les deux amants se retrouvent à patauger dans la boue, comme pour souligner la futilité et l’impuissance de cet amour. Un amour qu’on pense insubmersible mais qui, comme le montre si bien Malick, ne peut pas résister à tant d’obstacles. Il est voué à l’échec par la haine viscérale des hommes et leur peur primitive face à la différence.


Mais si cet opposition de style marque autant, c’est avant tout du à la capacité de Malick de tirer le maximum de son atmosphère. Ouïe, toucher, vision et même odorat, il nous enveloppe dans un maelström sensoriel au parfum de mirage. On est saisi par la densité opulente des sous-bois, la fange du camp et surtout par la symbiose entre le regard doux et rêveur de Pocahontas et celui plus pénétrant de John. Interprétée par la toute jeune Q’Orianda Kilcher (14 ans) et le toujours épatant Colin Farrell (vu récemment dans la saison 2 de True Detective), ce couple métisse est parfaitement complété par Christian Bale dans la troisième partie du film.


Non content de nous montrer un combat qu’on sait perdu d’avance, Terrence Malick ne se prive pas de parer la romance entre les deux amants d’une teinte d’amertume. Trop de disparités sont présentes entre eux et on comprend que leurs peuples respectifs ne laisseront pas une telle union s’épanouir si l’un d’entre eux ne renoncent pas à son identité originelle pour adopter celle de son amant. Malheureusement, un tel changement ne peut qu’au contraire détruire un amour fondé sur une fascination mutuelle de la différence d’autrui. Cette mise en abîme d’une histoire d’amour impossible dans le cadre d’un conflit historique de grande ampleur est remarquable de finesse et d’intelligence, dévoilant mieux que n’importe quel plan de guerre épique, l’impasse entre amérindiens et européens.


La dernière partie du film aurait mérité un développement plus approfondi mais sachant que l’œuvre dure déjà trois heures, difficile de rajouter encore quelques séquences. Lorsque Pocahontas se rend en Angleterre, sa réaction face au jardin parfaitement taillé où les arbres se regardent telles des chiens de faïence est révélatrice d’un gouffre béant entre deux peuples qui ont une manière radicalement opposée de percevoir le monde. L’un est un peuple empreint de liberté, qui ne peut s’épanouir qu’en accord avec la nature tandis que l’autre assujettit ce qui lui résiste non par malveillance mais par automatisme.


Prodigieux film-fleuve, qui confond les sens et fige la réalité, Le Nouveau Monde est l’histoire d’un rendez-vous manqué entre indiens et européens, entre Pocahontas et John Smith, entre deux civilisations qui ont emprunté le chemin de la confrontation, tellement plus simple que celui de la compréhension. Une œuvre contemplative et à la portée universelle qui ensorcelle autant qu’elle tourmente, à voir au moins une fois dans sa vie pour comprendre le sens du mot merveille.

Paul_Gaspar
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le 21 avr. 2021

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