C'est fou comme l'histoire du cinéma a tendance à se répéter.
En effet, en 2023, afin de sauver le cinéma français et affirmer que l'industrie cocorico n'a pas à rougir face au grand Satan yankee, on puise dans la richesse de notre patrimoine littéraire et de notre histoire. En mettant tout cela au goût du jour.
A peu près tout pareil en 2001, pour donner une nouvelle impulsion au cinéma de genre. En allant puiser dans la culture populaire et les mythes... Et en écrivant sa propre légende.
Et là réside tout le tour de force déployé par Christophe Gans en portant à l'écran son formidable Pacte des Loups.
Car en mariant l'histoire et le fantastique, il ouvre la fenêtre du média sur un champ des possibles inépuisable, marqué par sa boulimie généreuse de tous les cinémas. Variété éclatante déjà dans le casting invité à l'image, qui marie la vieille garde confirmée, incarnée par Jean-François Stévenin, Jean Yanne, Edith Scob ou encore Bernard Farcy, et quelques jeunes premiers venus de différents horizons : Rosetta, La Haine, Vénus Beauté Institut, Dobermann ou La Promesse, abolissant ainsi les chapelles et les frontières.
Variété d'un film patchwork d'une cohérence pourtant étonnante de par son extrême stylisation d'un dix-huitième siècle riche de textures, de couleurs crues, de lumières chaudes et intimes des châteaux, des bordels, des églises, ou encore d'une nature aussi souveraine que dangereuse. Une stylisation crédible, prémisse d'une réécriture du mythe de la bête du Gévaudan tour à tour iconoclaste, romantique, politique et baroque.
La variété des genres convoqués, elle, est connue de tous : l'arrivée en Gévaudan et les cache-poussières évoquant furieusement le western, des attaques dignes des Dents de la Mer, la fraternité et l'action de La Rage du Tigre, la sensualité d' Angélique, le frisson du Chien des Baskerville, les combats tirés du wu xa pian, le goût prononcé pour le feuilleton ou les films de cape et d'épée... Autant de motifs disparates qui auraient pu s'avérer écrasants ou virer au trop-plein écoeurant. Mais Christophe Gans évite ce piège par l'enthousiasme adolescent de sa mise en scène et son amour débordant du cinéma en tant de spectateur qui suinte de la pellicule. Soit la passion que beaucoup d'entre nous partagent.
Le Pacte des Loups s'inscrit ainsi au carrefour de toutes ses influences tout aussi antinomiques que folles, tout en apportant au terroir historique français du mythe une coloration d'incroyable nouveauté et d'exotisme qui, en 2001, a suscité de nombreux wahou ! tout au long de la projection, et ressuscité une certaine idée du merveilleux à l'écran.
Un exotisme prolongé par la nature même de la bête du Gévaudan, assemblage de fer et de chair tragique issu tout droit de l'esprit d'un Docteur Frankenstein campagnard, mais surtout par le personnage de Mani. L'élément étranger au Gévaudan, à la philosophie de l'époque, aux oppositions de classes. Mais un personnage proche de la nature et subissant de plein fouet le dédain et le racisme. Mani permet à Christophe Gans l'incarnation de sa voix et de ses positions sur certaines thématiques, que l'on peut trouver toujours aussi pertinentes en 2023. Tout cela en portant une idée étourdissante de combat et de grand spectacle hybride dynamitant la conception classique de l' entertainment à la française.
Le Pacte des Loups, marqué par l'absolue sincérité de son réalisateur gourmand, irrigué d'images faisant écho dans les mémoires par leur aspect tour à tour épique et tragique, s'est imposé au fil des ans comme une tentative à jamais orpheline de réinvention, mais surtout comme un incroyable bouillon de passion, de cinéphilie dévorante que la scène finale regarde avec une certaine mélancolie, et d'action décomplexée et spectaculaire.
Et si, comme l'albatros, la grande envergure est parfois synonyme de quelques menues maladresses, les loups, en 2023, ont gardé intacte l'intensité dévorante de leur regard enflammé.
Behind_the_Mask, lupus dei.