Après l’énorme succès de The Godfather, la Paramount songe rapidement à produire une suite. Très productif, Francis Ford Coppola profite d’être en haut de la vague pour tourner The Conversation, un projet que personne ne voulait soutenir et qui décrochera la Palme d’or à Cannes !
La Paramount souhaite donc donner une suite à The Godfather, mais Francis Ford Coppola ne veut pas en entendre parler, échaudé par l’aventure chaotique du premier tournage. On lui propose d’en être uniquement producteur. Il suggère le nom de Martin Scorsese pour le remplacer à la réalisation, mais la Paramount refuse. Il finit par accepter de réaliser le film lui-même pour un million de dollars, un record pour l’époque.
Cette suite ne sera que partiellement adapté du roman The Godfather de Mario Puzo. Coppola souhaite raconter les trajectoires de Vito et de Michael en parallèle, au même âge mais à différentes périodes, à l’aide de flashback. Il s’appuiera donc seulement des passages du roman racontant le passif de Vito. Il s’éloignera de l’image glamour et complaisante de la mafia véhiculée par le premier film, et montrera un gangster implacable, enfermé dans les tourments de sa propre spirale criminelle.
Francis Ford Coppola exige une indépendance totale, le final cut, un budget plus conséquent, et demande à ce qu’aucun dirigeant ou producteur du premier volet ne soit présent sur le plateau, en particulier Robert Evans. Cette fois, Coppola a les moyens de son ambition.
The Godfather : Part II sort en 1974 et va remporter pas moins de six Oscars !
Quand The Godfather s’achève, Michael Corleone est au faîte de sa gloire. Mais le cheminement tortueux qu’il a suivi n’augure rien de bon pour l’avenir. La suite va donc suivre la lente descente aux enfers d’un homme profondément seul et s’enfermant lui-même dans sa solitude. Au bout du tunnel, il y a le précipice. Michael Corleone, corrompu par son pouvoir immense, va tout perdre : sa position sociale, mise en danger par des enquêtes parlementaires, ses amis mis à l’écart ou assassinés les uns après les autres, et surtout sa famille : sa femme Kay qui l’abandonne, sa mère qui décède, et son frère Fredo qu’il fait abattre.
Autre fait notable, en s’enrichissant, les Corleone se mêlent à d’autres affaires et milieux. La guerre des clans siciliens n’est plus que lointain souvenir. Michael fraye avec des sénateurs ou de riches industriels juifs. La cruauté n’est plus physique (les meurtres sont moins nombreux et moins violents), mais morale et insidieuse. Les règles du jeu se compliquent. La position de Michael est d’autant plus fragilisée qu’il lui faut connaître un milieu auquel il n’appartient pas et dans lequel on le méprise profondément.
Abattu par les coups du sort, ébranlé, Michael réagit en devenant un véritable monstre. Al Pacino est à cet égard de bout en bout hallucinante. Bien qu’il n’ait que deux ans de plus que dans le premier film, l’acteur semble vieilli prématurément. Le contraste entre l’air hiératique et imperturbable qu’il adopte en tant que « Parrain » et ses brusques accès de colère (voir pour cela la transformation ahurissante de son visage lorsque Kay lui apprend qu’elle a avorté) fait de Michael un personnage incontrôlable. Arrivé au sommet, Michael n’a plus personne sur qui s’appuyer, plus aucune morale pour le retenir.
La grosse nouveauté c’est cette construction du film en deux parties narratives distinctes mais parallèles, offrant une profondeur historique et psychologique inédite. D'un côté, le film explore les origines de Vito Corleone depuis son enfance en Sicile jusqu'à son ascension comme chef mafieux à New York. Ce volet montre comment le jeune Vito, marqué par la violence et la perte de sa famille, forge son empire avec intelligence et discrétion, en devenant un leader respecté au sein de la communauté italo-américaine. Il incarne une forme de pouvoir paternaliste, où la force se mêle à un sens de la justice et de la protection. En parallèle, la deuxième partie du film suit donc Michael Corleone, qui, contrairement à son père, devient de plus en plus impitoyable et isolé. Son règne est marqué par la paranoïa, la trahison et la dégradation des liens familiaux, notamment à travers sa relation tendue avec son frère Fredo et l'effondrement de son mariage. Cette construction en deux volets met en contraste les origines honorables de Vito et la chute morale de Michael, créant une tragédie familiale épique où l'héritage paternel conduit inévitablement à la désintégration des valeurs familiales et personnelles de la nouvelle génération.
Robert De Niro relève avec brio le défi immense de succéder à Marlon Brando en incarnant le jeune Vito Corleone. Plutôt que d’imiter Brando, De Niro choisit de capturer l’essence du personnage tout en apportant sa propre sensibilité à Vito. Sa performance est marquée par une subtilité et une retenue impressionnantes, reflétant la montée en puissance silencieuse mais déterminée d’un homme qui se construit un empire avec patience, intelligence et compassion. De Niro adopte les gestes, le langage corporel, et même l'accent sicilien de manière minutieuse, renforçant la continuité entre son Vito et celui de Brando. Il réussit à incarner à la fois la tendresse d’un père et l’impitoyabilité d’un chef mafieux en devenir, créant un personnage aussi magnétique qu'inquiétant. Sa prestation lui a valu l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, confirmant qu’il avait non seulement réussi à marcher dans les pas de Brando, mais aussi à enrichir la légende de Vito Corleone.
Dans The Godfather, on voyait la lente déchéance de Vito et l’ascension de son fils. Ici, c’est l’exact contraire, et le parallèle est confondant de fluidité et de simplicité. Si l’histoire reste celle de Michael, on retrouve le statut quasi religieux de Vito Corleone, petit immigré orphelin qui est à l’origine de tout. Francis Ford Coppola appuie le contraste entre la vie presque héroïque de Vito, et celle, monstrueuse et glauque, de son fils Michael.
La musique de Nino Rota joue, une fois de plus, un rôle essentiel en reflétant les trajectoires opposées de Vito et Michael Corleone, et en accentuant l’aspect tragique de leur évolution. Pour Vito, la musique accompagne son ascension avec des thèmes plus doux, mélodieux et orchestraux, imprégnés de nostalgie sicilienne. Les morceaux qui soulignent son parcours sont souvent empreints de lyrisme, marquant la lente construction de son empire, fondée sur des valeurs familiales et communautaires. Le thème sicilien, notamment, évoque à la fois ses racines et son ascension méthodique, apportant une dimension humaine et presque bienveillante à son pouvoir grandissant. En revanche, pour Michael, la musique devient plus sombre, lourde et dissonante à mesure que son pouvoir l’isole et le corrompt. Les thèmes musicaux associés à lui se font plus froids et tragiques, soulignant la perte de son humanité et son éloignement de sa famille. Rota utilise des variations plus graves et inquiétantes, avec des orchestrations dépouillées ou menaçantes, pour illustrer la paranoïa grandissante de Michael et sa chute morale. Ainsi, la musique de Rota juxtapose la montée en puissance de Vito, empreinte de noblesse, avec la descente aux enfers de Michael, marquée par la violence et la solitude, renforçant le contraste entre le père et le fils.
L’utilisation de la lumière et de la photographie dans joue un rôle similaire à la musique de Nino Rota en accentuant les contrastes entre l'ascension de Vito et la chute de Michael. Le directeur de la photographie, Gordon Willis, utilise une palette visuelle distincte pour chaque ligne narrative. Pour l'ascension de Vito, la lumière est plus douce et chaleureuse, souvent baignée dans des teintes dorées qui évoquent l'Italie et les débuts d'une nouvelle vie à New York. Les scènes se déroulant dans la jeunesse de Vito utilisent une lumière naturelle et des tons chauds qui suggèrent l'espoir et la prospérité naissante. En revanche, les scènes centrées sur Michael sont plus sombres, avec des éclairages beaucoup plus froids et contrastés. Les ombres sont souvent très marquées, créant une atmosphère oppressante et tragique, symbolisant son isolement croissant et sa corruption morale. La lumière devient un outil pour montrer la solitude de Michael, qui est souvent enveloppé dans des ténèbres, figurant à la fois son pouvoir impitoyable et la déchéance de son âme.
Ainsi, la lumière et la photographie, comme la musique, servent à juxtaposer l’humanité et la noblesse du père avec la froideur et la descente aux enfers du fils, renforçant la tragédie épique de la famille Corleone.
The Godfather : Part II est une œuvre d’art cinématographique d’une rare profondeur, qui transcende son statut de suite pour devenir un chef-d’œuvre à part entière. En tissant les destins croisés de Vito et Michael Corleone, Francis Ford Coppola offre une fresque magistrale sur le pouvoir, l’héritage et la tragédie familiale. Chaque élément du film, des performances de Al Pacino et Robert De Niro à la mise en scène soignée en passant par la musique et la photographie, fusionne pour créer une symphonie visuelle et émotionnelle. Plus qu'un film de gangsters, c'est une tragédie shakespearienne sur la perte de soi, l'ambition dévorante et les liens familiaux.