Cavalleria rusticana ou La Chevalerie campagnarde. Opéra en un acte.

Effaçons de nos mémoires, le souvenir faussé de la supposée éloquence cinématographique du Parrain de Francis Ford Coppola. En cause, une autre trilogie plus récente signée d'un autre grand nom du Nouvel Hollywood, un certain Martin Scorsese. L'amalgame formel entre Les Affranchis, Casino , The Irishman et la trilogie de Coppola se fait tout naturellement dans l'inconscient collectif. Il est donc impératif de revisionner les métrages pour constater qu'en dehors d'illustrer le milieu du grand banditisme, les notes d'intention sont aux antipodes les unes des autres. Scorsese n'a d'autres (superbes) intentions que de brosser les quartiers pauvres de la Little Italy et de voir grimper en flèche ces marginaux fiers d'arborer leur badge de gangsters et de planter, si besoin est, un couteau entre les omoplates d'un pauvre bougre en désaccord au son des Rolling Stones. L'ampleur des mouvements de la steadycam - la griffe artistique du réalisateur de Taxi Driver- est là pour rappeler toute la fascination du réalisateur pour ces costards cravates se pavanant dans les quartiers ou les casinos. Les figures démonstratives de gauche du microcosme Scorsesien n'ont rien de commun avec les aristocrates puissants et discrets de l'univers de Coppola. Les premiers surexposent leurs actes criminels, les autres se prétendent "hommes d'affaires" planqués dans l'ombre d'un gigantesque bureau. Chez Coppola jamais les deux mots "mensonge pieux" n'auront autant portés la signature de l'ironie sachant que le crime est succédé ou précédé par un acte de foi ou l'un des sept sacrements de l'église catholique. Aux termes de ces célébrations ou manifestations religieuses, jamais la forme n'aura été touchée plus que de raison. Jamais la machinerie n'aura pris le pas sur l'écriture. Le Parrain est lyrique et mythologique dans la composition de ses cadres mais aucunement dans son tempo. Scorsese est un rocker et Coppola un baryton.


*Les souvenirs durables occasionnés par les visionnages multiples des deux premiers Parrain auront entériné l'idée d'un sous-texte sur le pouvoir représenté par une silhouette tapie dans l'ombre, la politique par les négociations diverses et la religion comme armure de lumière.* Le récit criminel étant la couche de mythologie et la première grille de lecture responsable du formidable succès en salle de la saga. Le troisième volet sur les écrans en 1990 soit 16 ans plus tard s'impose comme un sequel tardif mais aussi comme un projet de cinéma de grande ampleur. Comment concevoir un segment fondamentalement en accord avec les premiers films mais aussi de s'en démarquer avec délicatesse ? Les réponses, Mario Puzzo et Coppola vont les trouver en abordant la vieillesse, les valeurs familiales, la terre des ancêtres et les (douloureux) souvenirs passés. Il y est d'ailleurs plus question de porter un regard sur la vie passée du patriarche plutôt que de célébrer la passation d'un empire du crime d'un Parrain à un autre. À ce titre, l'héritage de Michael Corleone à Vincent Mancini se transmet durant une scène courte et intense sans effusion aucune mais au prix d'un Amour sacrifié.


On aime le couronnement d'un Roi et un peu moins sa destitution. Les forts fascinent et les faibles ennuient. En dehors de ce reproche fait au personnage de Michael Corleone esseulé et anéanti par le chagrin suite à l'assassinat de sa fille, Le Parrain : 3e Partie s'est vu accusé de reprendre la scène de réception du premier volet mais également de singer la séquence du meurtre de Don Fannucci à son domicile par un jeune Vito Corleone dans Le Parrain 2. Des critiques qui pouvaient se justifier à l'époque de sa sortie suite au peu de recul face à l'oeuvre dans son entièreté puis rendues aujourd'hui obsolètes de par son analyse sur la fin d'une figure criminelle tentant de sauver son âme des flammes. La troisième partie cultive alors sa propre personnalité tout en tendant la main au premier opus. La première heure se scinde entre traditionalisme inhérente à la famille Corleone et modernité naissante : Une réception fabuleuse, quelques âpres échanges dans un bureau luxueux et une présence quasi fantomatique du Maître des lieux. Quelques décennies plus tard, L'Empire se porte toujours aussi bien. Le spectateur est en terrain connu. Il se glisse néanmoins un parfum de modernité dans l'ADN de la saga sous les traits d'un nouveau venu, Vincent Mancini (Andy Garcia) fils de Sonny Corleone. Une figure romantique inhabituelle ancien porte flingue de Joey Zaza (Joe Mantegna) et nouveau Lieutenant de Michael. Au rythme d'un amour naissant avec Mary (Sophia Coppola radieuse) la fille de ce dernier, Mancini offre ses premières failles sentimentales à la saga. Une tendresse que le spectateur était en droit d'attendre et que Michael Corleone et Kay (Diane Keaton) n'ont jamais su communiquer. Le Parrain 3 ouvre donc de nouvelles perspectives. L'invincibilité des gangsters de l'ombre prend fin devant de nouveaux protagonistes féminins prêts à se mettre à nus pour faire évoluer cette tragédie moderne vers une fin inexorable. Connie Corleone (Talia Shire) personnage auparavant victime puis conseillère auprès de son frère ou la journaliste Grace Hamilton (Bridget Fonda) contribuent à rendre enfin le matériau perméable à la sensibilité. Un premier pas qui permettra de préparer doucement le spectateur au dernier voyage mélancolique en terre transalpine.


Pour une durée équivalente, Le Parrain 3 n'affiche pas la même densité narrative que ses ainés. Au contraire, son Maître d'oeuvre l'envisage de manière plus fluide, plus accessible. L'accent ne sera pas mis sur sa temporalité ni même sur les habituels ressorts Shakespearien. Sa force résidera dans sa transparence d'écriture et sa volonté de faire de ce film un pur objet de contemplation artistique. Ce que Francis Coppola rêvait tout bas dans les années 70 sera concrètement exécuté une décennie et demi plus tard : Assumer la dimension théâtrale et religieuse de sa saga. Les deux premiers segments travaillaient l'Art de l'aménagement de la scène au travers des compositions du chef opérateur Gordon Willis mais aussi la capacité de Coppola à concocter des cadres riches en émotions diverses. Les scènes des films de 1972 et 1974 se succèdent tour à tour intimes et meurtrières et baignées de clairs-obscurs. La violence physique ou verbale accompagnée de la partition de Nino Rota évoquent les vocalises d'un ténor terrassé par l'émotion. Le Parrain 3 accomplit alors le désir du réalisateur de transcender son écriture pour l'amener vers un dernier acte où le simulacre de l'Opéra cinématographique d'hier prend enfin vie sous nos yeux. La tragédie des Corleone s'articule alors autour de La Cavalleria rusticana, Opéra en un acte unique composé par Pietro Mascagni. Le fils de Michael y interprète Turridu, un jeune homme pris dans un imbroglio de passion et de mort. Les accointances entre le spectacle se déroulant sous les yeux des Corleone et les récents évènements survenus avant leur arrivée en Sicile dénotent le lien profond unissant la tragédie familiale au spectacle. La scénographie y est représentée de telle façon que lors de la scène de procession, celle-ci se rapproche délibérément de l'assassinat de Joey Zaza où une poignée de "cagoulés" portent la Sainte Vierge. Plus tard, la mort de Turridu provoquera des cris de douleurs de la part de ses proches et renverra inévitablement à Michael Corleone hurlant de désespoir sur les marches de l'Opéra tenant le corps inerte de Mary dans ses bras. Coppola jouant des liens étroits entre son oeuvre et celle de Mascagni glissera discrètement la scène de l'oreille de Zaza déchirée par les dents de Vincent Mancini. Un acte de violence issu de La Cavalliera rusticana et référence direct à la mythologie des Corleone sans qu'il y soit fait concrètement mention durant le spectacle.


Ayant réussi à reconsidérer les contours de son oeuvre, le réalisateur de Apocalypse Now entreprend d'en changer la dominante noire des deux premiers volets. Un habillage chromatique ambrée puis pourpre comme rappel sur les vêtements ou les textures photographiques tout au long du métrage permettent de lier consciemment cet épilogue à la passion mais aussi à la couleur du sang au coeur de sa dimension opératique. Le rapport de Coppola à l'image est tel qu'il s'en dégage une oeuvre à fleur de peau très cohérente dans son désir de prolonger la saga dans ses thématiques sur les luttes de pouvoir et d'en concevoir une gamme d'émotions supplémentaires. Le Parrain 3, n'a plus peur de baisser sa garde et de flirter avec la mélancolie.


Coppola n'a jamais voulu entreprendre de troisième volet à sa saga. Les exécutifs de la Paramount associés aux déconvenues économiques du réalisateur en ont décidé autrement. Pourtant visionnage après visionnage, le segment ultime se pare d'une aura unique parce que la commande devenue projet personnel fait sens. L'Opéra n'est-il pas né à "Florence" et le Vatican n'est-il pas le Berceau du Catholicisme ? Le clan Corleone ne pouvait trouver plus grand ennemi qu'une armée d'archevêques cupides adeptes de malversations politiques. Sur les terres Siciliennes, une dynastie prend fin. Pas tout à fait puisque le grand ordonnateur de la saga reviendra trente ans plus tard avec une nouvelle version : The Godfather coda : The Death of Michael Corleone. "Coda" signifiant le dernier acte ou l'épilogue d'un Opéra. Coppola aura divinement bouclé la boucle.

Star-Lord09
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le 12 juil. 2021

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