Sans vraiment y penser, vous vivez votre vie. Vous vous réveillez dans votre lit, vous buvez un verre de jus de fruits, d’oranges, de clémentines ou d’ananas, et puis vous allez travailler. Vous faîtes la route à pied. Vous maudissez la pluie qui vous tombe sur le visage et vous profitez du soleil qui vous prend dans ses bras, vous regardez les feuilles vertes dans le ciel bleu ou les lumières de la ville onduler sur l’asphalte détrempé, vous voyez les adultes partir au travail et les enfants aller à l’école. Vous découvrez tous les petits changements de la ville. Vous entendez la circulation, le vent qui souffle, les oiseaux qui chantent et les gens qui vivent leur vie à côté de vous. Au travail, vous regardez vos écrans et leur lumière blafarde, vous sentez la chaleur du chauffage en hiver et la fraicheur de la climatisation en été. Vous parlez avec vos collègues, vous faîtes des blagues, vous riez. Vous écoutez de la musique, vous lisez un article, vous contemplez le temps passer. Vous allez pisser. Vous en mettez un peu à côté. Pourquoi les toilettes sont-elles si basses ? Le midi vous allez vous acheter à manger et le soir vous rentrez chez vous. Vous mangez de nouveau et puis vous regardez un film, vous lisez un livre ou peut-être que vous allez boire quelques verres. Peut-être même que vous boirez quelques verres en trop. Peut-être que vous irez draguer la jeune femme au jolie sourire, là-bas, sous les lumières rouges du bar. Elle sortira de son aura rougeoyante et elle ne sera plus si belle. Jamais plus elle ne le sera. Mais après-tout, peut-être que vous ne vous réveillerez pas seul dans votre lit le lendemain matin.
Sans vraiment y penser, vous vivez votre vie, et parfois vous vous demandez comment vous en êtes arrivé là et où tout ça va bien pouvoir vous conduire ? Parfois même, vous vous demandez pourquoi vous êtes ici ? Pourquoi vous n’êtes pas sur une route au milieu du désert, dans une petite maison au bord de l’eau ou dans une cabane au fond d’un bois ?
Vous vivez votre vie et puis un jour vous regardez Le Pays du silence et de l'obscurité et quelque chose change. Vous vivez toujours votre vie. Vous vous réveillez toujours dans votre lit, vous buvez toujours un jus de fruits, vous allez toujours au travail, à pied, vous allez toujours pissez, vous en mettez encore un peu à côté, vous mangez toujours le midi et puis encore le soir et le lendemain, vous vous réveillez encore dans votre lit. Tout est toujours pareil, mais à l’intérieur de vous, un petit quelque chose a changé.
Vous voyez ces hommes et puis ces femmes, incapable de voir et d’entendre, tout seul dans le monde du silence et de l’obscurité. Un monde que vous êtes bien incapable d’imaginer. Vous voyez le travail incroyable de Fini qui essaie de souder une communauté dont les membres n’ont aucune conscience de son existence. Vous voyez leur solitude, leur abattement, leur désespoir, perdu dans un monde où ils sont les seuls. Vos yeux s’ouvrent grands, vous vous enfoncez dans votre siège, le monde autour de vous se resserre. Et puis vous voyez le sourire de cet enfant sous la douche pendant que l’eau lui tombe dessus et de ce jeune homme avec un post de radio dans les bras et de cet homme qui enlace un arbre, qui lui caresse les branches, qui sent l’écorce sous ses doigts pendant que les autres parlent à quelques mètres de là, à des années lumières de lui. Dans un autre monde, complètement différent, avec d’autres sensations, d’autres sentiments. Vous voyez ce bonheur immédiat, simple et sincère et vous vous demandez quand vous avez bien pu ressentir un tel bonheur pour la dernière fois.
Alors vous continuez à vivre votre vie, tout est toujours pareil sauf un petit quelque chose au fond de vous. Maintenant, vous essayez parfois de ressentir ce que vous touchez et parfois encore, quand vous croisez un arbre, vous l’éraflez du bout des doigts.