Comment évoquer ce film ? Comment même encore en parler puisque la messe a été dite, puisque tout a été appris, retenu, revu, connu par cœur, déclamé sans cesse à n’importe quel repas de famille qui s’éternise ou réunion de bureau post-digestive ? Parangon de la comédie française, irrévérence indémodable, marronnier (re)diffusé ad nauseam, Le Père Noël est une ordure traverse les années et les modes sans même lasser, sans même craindre la comparaison avec d’autres parce que les comédies actuelles, gangrenées par le prêt à penser et le financement pusillanime de l’audiovisuel public et privé, n’oseront jamais aller aussi loin dans l’humour noir et l’incorrection, le trash et l’insolence.
Quand Dany Boon tricote une leçon de vie affligeante et même pas drôle, dégoulinante de moralité crasse, l’œuvre monument du Splendid s’amuse d’un gouffre existentiel, d’un quotidien pathétique assénés à nos petites vies comme une méchante et magistrale claque dans la gueule. Finalement plus tragi-comique que comique (meurtre, pauvreté, dépression, frustration), Le Père Noël est une ordure foisonne évidemment de dialogues fameux et de répliques cultes entrés depuis dans les mœurs et les conversations usuelles. Les scènes délirantes s’enchaînent sans faiblir, le rythme du film crépite, pétille, étincelle.
Clavier n’aura jamais été aussi drôle et inspiré (difficile aujourd’hui de l’imaginer accepter un rôle de travesti dépressif, et c’est d’autant plus vérifiable quand on sait qu’il reprend le rôle non pas de Serrault, mais bien celui de Poiret dans la nouvelle version théâtrale de La cage aux folles), Jugnot éructe, fulmine et menace, et Balasko hérite de la scène la plus tordante du film (celle dans l’ascenseur où elle clame son désespoir à la trompette). Classique inusable franchissant les générations avec assurance et décontraction, vomissant les veuleries et les petitesses de nos contemporains, Le Père Noël est une ordure est une insulte salutaire au bon goût, grand bazar caricatural mais pas tant que ça, délirant et dérisoire, acide comme du champagne éventé, ironiquement dramatique comme un kloug nauséabond soudain écrasé sur une veste de smoking blanche immaculée.