1989, Don Bluth vient de sortir son nouveau long-métrage d'animation, The land before time, tandis que la souris aux grandes oreilles présente dans le même temps son dernier travail, Oliver & Company. Cette année là encore, le studio Disney va remporter la victoire du plus grand nombre d'entrées dans les salles. Pourtant, dans le cœur des enfants qui ont eu la chance de le voir au cinéma ou ceux qui l'ont découvert par la suite devant leur télévision, ce sont biens les aventures de Petit-Pied qui vont occuper une place toute particulière.
Véritable madeleine de Proust, cette odyssée à travers le monde des dinosaures a bel et bien été mon film préféré à l'âge où je savais à peine tenir debout. La fascination que je pouvais avoir à l'égard de ces braves bêtes m'a permis de m'immerger immédiatement dans cet univers fantastique. Je pensais d'ailleurs naïvement que ma connaissance à l'époque d'un nombre faramineux d'espèces de dinosaures venait de ce film. Je me suis rendu compte en le revoyant que ce n'est définitivement pas le cas puisque les créatures ne sont décrites que par leurs caractéristiques physiques (les longs cous, les dents tranchantes, les trois cornes, les volants, etc.), sans qu'aucun nom scientifique ne soit donné. Ce choix s'explique facilement puisqu'il permet de faciliter la compréhension de l'œuvre aux enfants tout en mettant l'accent sur la découverte du corps et de nos différences.
Étrangement, je me souviens qu'étant enfant, ma scène préférée était celle de la disparition de la mère de notre héros à quatre pattes, sûrement par fascination. Aujourd'hui, ce passage a été bien plus difficile émotionnellement à gérer. Ce constat est d'autant plus intéressant que j'ai pu regarder depuis cet âge un grand nombre de films autrement plus difficiles à regarder sans que je n'éprouve de façon aussi brutale une telle compassion face à cette solitude tragique.
C'est bien de cela dont il est question dans cette odyssée des herbivores. Le film aurait pu s'intituler La marche des innocents que cela aurait tout aussi bien illustré le propos. Tous se retrouvent séparés de leurs parents sans que ce ne soit la faute de quiconque. La force du film demeure dans cette leçon que George Bush aurait dû apprendre avant de devenir Président des USA : il n'existe pas forcément de Bien ou de Mal. Si la mère de Petit-Pied est décédée suite à l'attaque d'un "dents tranchantes", ce n'est pas pour autant la faute du Tyrannosaure puisque c'est un carnivore. Face à l'injustice de la nature, la cruauté de la vie et la faiblesse de notre condition, seule la solidarité peut soulager nos maux.
Petit-Pied n'est d'ailleurs pas un héros infaillible puisque ce dernier commence par détester sa mère à sa mort, considérant que cette dernière aurait dû faire plus attention. De la même façon, la rivalité entre lui et Cera montre que tout deux ont un égo bien mal placé. Les relations entre les personnages sont assez intéressantes dans la mesure où on assiste à aucun moment à un commencement de relation amoureuse (qui n'aurait d'ailleurs eu aucun sens) entre Cera et Petit-Pied. Seule la difficulté de construire une amitié nous est ici décrite, ce qui est amplement suffisant.
Saluons également tout particulièrement Don Bluth pour avoir proposé un conte pour enfant sans les ménager. M'avoir appris ce qu'était véritablement la vie tout en me délivrant un discours responsabilisant et un message d'espoir m'a sûrement beaucoup aidé pour ma construction personnelle. Le film invite en effet les générations futures à rompre avec les erreurs du passé, tout en respectant les anciens. La communauté que Petit-Pied a réussi à constituer aurait été impossible à former si les parents de Cera avaient été présents par exemple.
Au delà du fond de l'œuvre, les graphismes, profondément ancrés dans les années 1980' (alors même que le film est sorti six mois avant l'année 1990), ne finissent pas de nous émerveiller, même plus de vingt ans après. Si le dessin est assez simpliste, le jeu des couleurs contribue très largement à la diffusion de cette atmosphère si particulière.
Si cette œuvre a pu être importante pour son réalisateur qui a réuni ici en un seul film l'intégralité des thèmes de ses précédents travaux, ce conte a été sans doute plus important encore pour le (très) jeune spectateur (comme moi) qui a associé à jamais son enfance à ce road-trip à dos de long cou vers la Vallée des merveilles.