Une fois ma colère exprimée, je me dois de développer. Je cultive une profonde et ancienne affection pour Antoine de Saint-Exupéry, l’homme, le pilote et l’écrivain. Notez qu’il serait injuste de réduire son œuvre au seul Petit Prince. J’apprécie presque tout dans ce court roman, le contexte, la concision, les dessins, les personnages, tout sauf la conclusion qui me laisse sur ma faim. Ces ultimes pages me tarabustent depuis des décennies, était-il indispensable qu’il se suicidât ? J’admets qu’une lecture enfantine et poétique est possible, que le Prince ne serait alors que parti, que l’époque était tragique et Saint-Ex en pleine dépression etc. Bon.
Les succès commerciaux de Bob l’éponge, le film et de Kung-Fu Panda ont permis à Mark Osborne de se lancer dans sa Grande œuvre. D’accord. L’ambition est légitime, mais pourquoi s’attaquer à notre imaginaire ? La minceur de l’ouvrage excluait son adaptation en long métrage, ok, brodons ! Hélas, le scénario ne se contente pas de broder, il prolonge, ré-écrie, extrapole. Le pilote a vieilli, admettons, et pris sa retraite aux USA. Pourquoi ? Cette manie des Ricains de s’approprier nos histoires en les transposant chez eux est insupportable. Rappelez-vous de l’U-571 ! Quand un réalisateur européen tourne un Moby Dick ou un Tom Sawyer, il ne se croit pas tenu de transférer l’action à Madrid ou Berlin !
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Exécutons le dessin. Si les séquences en stop motion ; le Prince, le désert et le renard en papier ; sont belles, l’essentiel est constitué d’images de synthèse d’une confondante laideur (un comble en 2015 !), qui dira l’horreur de ces grands yeux vides perdus dans ces visages inexpressifs !
Le titre est mensonger, le Petit Prince cède le rôle principal à une gamine qui aurait pu, dans une autre histoire, être attachante. Son père est parti, sa mère travaille dur pour obtenir son admission dans une institution d’élite. Ok. Ils emménagent à côté du pilote ronchon. La suite est prévisible et a été tournée cent fois, Ronchon sympathise avec la gosse. Je sauverai du naufrage trois séquences, le méga todolist de la mère, les machines de Ronchon et les vues aériennes du quartier pavillonnaire. Peu de choses.
La gamine et le renard parviennent enfin à décoller, il ne nous reste que vingt minutes : Osborne parviendra-t-il à nous laisser sur impression finale favorable ? Hélas, à l’image du roman, le film part en vrille. Ils s’écrasent sur un nouvel astéroïde, un monde sinistre bâti par l’Homme d’affaire… Je vous épargne la suite.
Saint-Ex ne méritait pas un tel acharnement. Pour vous quitter sur une bonne note, je vous propose une admirable citation tirée de Pilote de guerre : « L'enfance, ce grand territoire d'où chacun est sorti. D'où suis-je ? Je suis de mon enfance comme d'un pays ».