Le second film de Godard, le plus suisse des cinéastes français. Curieusement on n’en parle pas comme d’un indispensable de sa filmographie et pourtant… Autant il peut être hermétique et réservé aux initiés, autant là il est presque facile à suivre, la narration est somme toute assez classique ici. Evidemment ce n’est pas Les Gendarmes à Saint Tropez, ça reste du Godard. Inventif, toujours surprenant, chaque plan une idée, en force ; une histoire sans issue, un personnage principal pris au piège. Un déserteur, jeune et idéaliste coincé entre la guerre et la fuite retardée au Brésil en transit en Suisse. Soudain on est tenté de voir Godard lui-même à travers lui, sa réflexion sur le cinéma, la vie, l’art, la guerre d’Algérie, la torture. Ce film est à voir pour ça aussi, la torture montré sans faire dans le pathos, mais sans édulcorant, sans équivoque, un acte horrible, mais d’une terrible banalité. Pas mal du tout. Ce Michel Butor, que je ne connaissais pas en héros banal, fasse au miroir qui interroge le sens de la vie, après avoir été torturé, c’est un plan d’enfer, comme le testament d’un homme libre, mais condamné à mort par son impossibilité à choisir un camp. Et on ajoute Anna Karina, la poupée qui fait « peut-être », avec ses grands yeux ravageurs, l’idéal féminin selon Jean-Luc Godard. Tout ça montré de façon frontale, sans gants de velours, avec évidemment quelques tics Godartiens, qui vont énerver certains, (discours multipiste, narration intellectualisée, caméra toujours en mouvement, plans calculés, culottés, caméra « flottante », une grande liberté de ton). On peut y revenir et voir plein de trucs qu’on aurait raté la première fois tellement c’est riche et avec du fond. Pas mal ce « petit » Godard. Pas mal du tout.