Film sec, nerveux, complexe. C'est le Godard des débuts, celui qui investit le genre le plus codifié qui soit (le polar pour A bout de souffle, le film d'espionnage ici) pour y déployer tout ce qui fait le sel de son cinéma : écriture poétique, politique (ici il n'y a pas de grandes différence), questionnements philosophiques et divagations existentielles. Le film est moins charmeur qu'A bout de souffle, moins directement poétique et sans doute moins beau. Il est plus secret, plus complexe, plus touffu, on y rentre moins facilement. J'ai même parfois pensé au premier film de Rivette, en plus franchement politique, pour la façon dont la révolution technique qu'apportait la nouvelle vague s'essayait à percer le secret du monde contemporain, et donc du cinéma. J'avais un peu l'impression qu'A bout de souffle était un grand film d'anarchiste de droite, ici c'est beaucoup plus compliqué. Ce n'est pas une question d'idéologie, car les deux sont formellement immenses. Mais sans doute une question de personnages : Bruno Forestier me passionne plus que Michel Poiccard. C'est aussi que dans Le Petit Soldat, Godard fait parfois des choses impossibles. Il joue avec les points de vue, prend le temps de construire l'espace mental de son héros, mais ne trahit jamais la complexité du contemporain. Et tout ça est à la fois d'une grande rigueur, politique et morale : seul Godard ne risque pas d'être tendancieux quand il filme la torture en gros plan. Car le sujet du film, et de son cinéma, c'est bien sûr la vérité, 24 fois par secondes.