Support: 4K Bluray UltraHD
Préambule : J’ai passé un week-end à Clermont-Ferrand pour aller visiter une personne centenaire qui m’a abreuvé de ses souvenirs de la Seconde Guerre Mondiale (elle était notamment présente lors de la rafle qui a eu lieu de 1943 à la faculté de droit). Comme il faisait plutôt moche, on est également allé voir Une Vie au cinéma, qui aborde l’histoire des réfugiés tchécoslovaques à la veille de l’invasion allemande. Et pour parfaire le tout, nous avons visité le plateau de Gergovie où se tenait une exposition temporaire sur un groupe de résistants qui s’était réfugié sur le lieu de la célèbre bataille opposant Vercingétorix à César : les Gergoviotes. Autant dire que lorsque je suis rentré chez moi le dimanche soir, il me paraissait tout approprié de lancer le bluray 4K nouvellement acquis du film de Polanski pour boucler la boucle, j’étais déjà dans le bain et je ne l’avais pas revu depuis fort longtemps.
Il paraissait évident que Polanski s’attaque un jour à ce sujet si délicat mais si personnel pour lui qu’est la Shoah. Lui-même rescapé du ghetto de Cracovie, sa mère enceinte morte à Auschwitz, il lui fallait le bon angle et la bonne histoire pour oser se replonger dans ce souvenir lancinant. C’est lorsque l’on lui fait découvrir le livre autobiographique de Wladislaw Szpilman, écrit en 1946 alors que les cendres de Varsovie étaient encore chaudes et la mémoire vive, que le cinéaste se lance, pour livrer ce que j’estime aujourd’hui être le film le plus abouti sur le sujet.
On y suit Szpilman, pianiste renommé à la radio de la ville, qui se retrouve ballotté par la guerre, sans aucune prise ni moyen d’action, et avec comme seul espoir le bon vouloir d’autrui. Mais autrui se révèle sous toutes ses formes dans cette époque ténébreuse, allant des généreux qui risquent tout aux bourreaux sociopathes, de ceux qui survivent par tous les moyens, en collaborant ou en s’humiliant, à ceux qui abandonnent, ceux qui se bercent d’illusion, ceux qui ferment les yeux, et ceux qui Wladiswlaw restent confus. Il passe d’un homme propre sur lui à un sac d’os hirsute (Adrien Brody a perdu quinze kilos pour le rôle), errant tel un animal dans les ruines fumantes d’une cité rasée et vidée de ses habitants par la barbarie humaine, seul, tentant de survivre sans trop comprendre comment. La déshumanisation, tant des monstres que de leurs victimes, est totale.
Derrière la caméra, le cinéaste s’efface pour laisser parler une imagerie classique. Il laisse de longues respirations à son récit, pour mieux l’entrecouper d’exécutions sommaires et autres jeux cruels, dont les aspects gratuits et aléatoires finiront d’enfoncer le clou d’une horreur sans ambages. Puis à nouveau le calme, le temps de laisser le spectateur s’imprégner de ce qu’il voit et ressent, et d’insérer une ellipse qui nous fait comprendre conjointement la longueur du supplice (six ans) et les marqueurs temporels de la chute de Varsovie.
Au milieu d’un tel déferlement de misère, Szpilman n’a qu’une faible lueur à laquelle se raccrocher: son amour de la musique, de l’art. Une lumière qui le mène au bout du tunnel, et se concrétise lors d’une scène magnifique où il joue de son instrument à Wilm Hosenfeld, capitaine de la Wehrmacht et énième détenteur du sort du pianiste. Le morceau en question, c’est la Ballade n°1 de Chopin, lui-même polonais et l’ayant écrite alors qu’il fuyait son pays envahi par la Russie du tsar Nicolas Ier. Un choix judicieux, qui rappelle que la nation a constamment été prise entre le marteau et l’enclume dans la tourmente de l’Histoire. Et ce n’est pas notre actualité de 2024 qui démentira cette observation. Un appel à l’aide qui est entendu, et permet après une dernière mésaventure à Wadislaw de s’en sortir.
Plus qu’un film nécessaire sur la mémoire de la période la plus sombre de l’Histoire récente, Le Pianiste est également le récit d’une communauté meurtrie, le parcours sans queue ni tête d’un homme sans repères compréhensibles, et une déclaration solennelle sur l’importance de l’art pour l’Homme, comme exutoire ultime lorsque l’espoir est disparu. Un chef d'œuvre qui marque, et espérons le, continuera de marquer les générations futures dans les déboires qui les attendent.