"Klouk" travaille chez un concessionnaire dans le Nord de la France. Il essaie de conclure une vente lorsque son patron lui ordonne de conduire un véhicule à l'autre bout de la France afin de satisfaire un client important. Le salarié peste car il devait accompagner sa femme à un mariage durant le weekend. La menace de se retrouver chômeur l'oblige à accepter cette tâche et à braver une scène de ménage monumentale. Alors quitte à traverser la France au volant d'un break, autant le faire avec un ami. Il s'empresse d'aller chercher Philippe, baryton à moustache, blagueur et bête de sexe. Sur la route, ils subissent l'incruste forcée de deux marlous sympathiques mais aux desseins un peu troubles.
Road movie par excellence (genre rare en France, on dénombre le corniaud et les Valseuses, sorti 2 ans avant et dont la liberté de ton inspire manifestement le film de Cavalier), et bâti autour d'un quatuor improbable : deux hommes "sages" et insérés socialement, et deux mauvais garçons qui n'ont pas 3 francs en poche. On pourrait presque imaginer que Charles et Daniel n'existent pas, qu'ils sont des projections canailles de Klouk et Philippe, inconsciemment épris d'une soif de liberté qui ne ferait que grandir kilomètre après kilomètre (un peu comme Trintignant dans le Fanfaron, l'asphalte libère, l'asphalte décoince).
Ils tentent bien sûr dans un premier temps de se débarrasser de ces incrusteurs plus tenaces que les mauvaises nouvelles sur l'année 2020. Cependant Charles a une bonne raison de se rendre dans le sud, il veut voir son garçon qui vit avec sa mère dans une vague communauté baba d'Aix en Provence.
Il semble qu'une partie des dialogues soit improvisée, et ça ne se remarque pas. Bouchitey, Chicot, Saint-Macary et Crombey sont d'un naturel absolu, sans tomber dans les risques de l'exercice qu'on rencontre ces dernières années dans les films naturalistes à la Bruno Dumont ou Fathia Youssouf (les acteurs qui ne jouent pas et se font leurs dialogues : défaut de prononciation, répliques qui se chevauchent, pauvreté linguistique.. le prix à payer exorbitant pour obtenir des accents de vérité).
Alors oui, ce film est bien ancré dans les années 70, et c'est la virée de 4 mecs de base. Ce ne sont pas des universitaires, ou des intellectuels comme dans les films de Bresson, ou Rohmer. Ils ne pérorent pas de manière artificielle sur la révolution marxiste, sur la théologie, ou la littérature avant-gardiste. Il n'y a pas de femmes en avenir de l'homme dans leur bouche, il n'y a pas de message particulier envoyé au spectateur. On ne peut même pas parler de patriarcat crépusculaire tant les 4 voyageurs n'ont que très peu de contrôle sur leurs propres vies et celles de leurs proches.
Et voir ces 4 gars qui parlent de plans cul peut déranger certains spectateurs et spectatrices, qui reçoivent ces confessions masculines comme autant de propos dégradants ou problématiques envers la Femme, quand bien même les confidences sexuelles toutes aussi crues entre ces dames sont jugées avec beaucoup plus de bienveillance quand elles sortent de fictions US contemporaines du genre Sex and the city, ou Girls.
Là il se trouve que c'est juste 4 gars, avec un taux de moustache à 50% qui tentent de s'éloigner de leurs problèmes, qui partagent leurs craintes et espoirs et qui ne respectent pas les dispositions élémentaires en terme de sécurité routière, qui se chicanent mais qui s'aiment bien dans le fond. Des types en manque affectif, qui ne cherchent pas la révolution comme leurs grands frères qui ont fait mai 68, mais leur place dans une société déjà en crise.
SPOILER
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Daniel jeté par sa copine et qui fait une mise en scène de suicide, Charles bon père qui souffre de la séparation avec sa femme et qui se venge de manière très inélégante et puérile, Klouk qui tente de surmonter sa stérilité et qui cherche un moyen de donner un enfant à sa femme, et Philippe dont la scène avec le personnage de Nathalie Bayle montre que sa relation avec les femmes est compliquée"""
FIN DU SPOILER
Cavalier signe un film vivant, différent et sympathique qui tranche avec nos "buddy movie" sirupeux et mal inspirés que sont le cœur des hommes et autres Petits mouchoirs.