Petit manuel de propagande japonaise pour les femmes

Comme beaucoup de réalisateurs de son époque, Akira Kurosawa a commencé sa carrière en se faisant la main sur des films parfois opportunistes (il faut bien gagner son pain), avec notamment des films de propagande comme ici, et plus globalement en ravivant la flamme chez la jeunesse japonaise. Il faudra attendre L'ange ivre pour que son talent ait enfin les moyens de s'exprimer pleinement. En effet, il est vain de reconnaître sa patte dans Le plus beau, lui qui au contraire aura pour marque de fabrique les conséquences néfastes de la guerre sur la société japonaise et l'âme humaine, en ciblant tout particulièrement les laissés pour compte.


A partir d'une esthétique mi-documentaire, nous retrouvons ici tous les critères du bon film de propagande : femmes qui veulent faire péter les statistiques de production des lentilles (pour faire - presque - aussi bien que les hommes !), faisant passer leur personnalité derrière l'esprit d'équipe, et travaillant comme des acharnées même lorsqu'elles sont fatiguées ou malades. Un petit graphique permet de suivre leur progression. Tout est bon pour relancer la vapeur : musique militaire, prières aux anciens, volley-ball, etc. L'histoire n'est que le développement de cette maxime : La force de production émane de la force de caractère. C'est donc assez redondant et l'ennui guette malgré un rythme relativement prenant (normal puisqu'il fallait galvaniser les esprits ...).


A l'extrême limite, quelques traces humanisantes sont perceptibles, les abandons des unes ou des autres affectant le moral du groupe (au point de masquer les faiblesses des uns pour l'intérêt de tous). Mais l'idéologie est finalement la plus forte, limitant irrémédiablement la psychologie des personnages auxquels il est difficile de s'identifier, étant tous noyés par cet esprit de compétition et de matraquage. C'est bourré de signes d'encouragement de slogans (morts pour la patrie), et même la mort de parents proches ne les détourne pas de leur objectif malgré une tristesse visible sur leurs visages. Le pompom arrive avec une histoire de lentille que l'héroïne doit corriger toute la nuit, de peur que les soldats l'utilisent (même ses supérieurs sont impressionnés par un tel dévouement !). Bref, une histoire limitée mais intéressante pour connaître un peu mieux ce genre cinématographique hyper balisé, et repérer les rares signes d'un style en développement (notamment les gros plans sur les visages qui soulignent les contradictions humaines, les intérêts privés pesant légèrement sur le sacrifice individuel et collectif, et les marques temporelles de la détermination de l'âme qui rappellent la fameuse illumination de La légende du grand judo).


Film de propagande sur commande assez redondant dans son principe (force de caractère et de groupe versus sentiments et découragement), Le plus beau ne s'adresse qu'aux fous furieux de AK.

Arnaud_Mercadie
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mon Top Akira Kurosawa

Créée

le 25 avr. 2017

Critique lue 192 fois

1 j'aime

Dun

Écrit par

Critique lue 192 fois

1

D'autres avis sur Le Plus Dignement

Le Plus Dignement
Gand-Alf
4

Les femmes de l'ombre.

Un an après avoir réalisé son premier long-métrage, Akira Kurosawa contribue à sa façon à l'effort de guerre (nous sommes en 1944) en prenant les commandes de cette production mettant en vedette des...

le 12 nov. 2015

16 j'aime

5

Le Plus Dignement
Kobayashhi
3

Propagande, quand tu nous tiens !

Ichiban utsukushiku ( Le plus beau) est le second film de Kurosawa tourné en 1944 un an à peine après Sugata Sanshiro. Il nous plonge en pleine seconde guerre mondiale au sein d'une d'une fabrique...

le 15 août 2013

8 j'aime

Le Plus Dignement
Plume231
3

"Frappons l'ennemi et détruisons-le"... Youpi... !!!

Deuxième long du géant ou plutôt du futur géant Akira Kurosawa, oui parce que ce film n'est pas terrible (et le mot est faible !!!). Tourné à une période où les japonais étaient encore en guerre, Le...

le 11 mars 2017

5 j'aime

3

Du même critique

Le Sabre
Arnaud_Mercadie
9

De la perfection de l'art samouraï

Là où Tuer se distinguait par son esthétique élégante et toute en retenue, conforme à une certaine imagerie traditionnelle du Japon médiéval, Le sabre frappe par sa simplicité et son épure formelle...

Par

le 27 avr. 2017

9 j'aime

Qui sera le boss à Hiroshima ?
Arnaud_Mercadie
8

Critique de Qui sera le boss à Hiroshima ? par Dun

C'est avec ce second épisode que je prends enfin la mesure de cette ambitieuse saga feuilletonesque sur les yakuza, qui mériterait plusieurs visions pour l'apprécier totalement. Alors que j'étais en...

Par

le 15 avr. 2017

8 j'aime

Mind Game
Arnaud_Mercadie
8

Critique de Mind Game par Dun

J'avoue avoir repoussé la séance à cause de l'aspect expérimental de cet animé de peur de me retrouver dans du sous Lynch un peu trop obscur (non que je déteste l'idée, mais ça peut rapidement tomber...

Par

le 5 mars 2019

8 j'aime