Avec Le Pont, sorti en 1959, Bernhard Wicki traite avec courage et critique de l’une des absurdités de la guerre, quand pour poursuivre de quelques jours un conflit qu’elle savait perdu, l’armée envoie sur le front des gamins inexpérimentés mais exaltés par des années de propagande. Le réalisateur choisit de prendre son temps, plus de la moitié du film, pour poser son cadre, caractériser et différencier ses 7 ados et expliciter les dynamiques et rapports de force qui structurent leur groupe. Ainsi, le fils d’aristocrate se sent investi par la noblesse de sa charge tandis que le fils de commandant en fuite pense devoir redresser l’idéal et l’attitude que son père a dévoyé.
Le capitaine essaie de les planquer hors du front, mais abandonnés, sans instruction ni expérience, ces enfants moqueurs et bravaches, plein de volonté d’héroïsme, voient leur garde de pont prendre un tour funeste. Les rapports de force s’inversent, et leur attitude les uns envers les autres les placent encore davantage en situation mortelle. Leurs idéaux disparaissent aux lueurs du jour, où les autres soldats fustigent leur action, méprisent leurs morts et désavouent ceux qu’ils ont abandonnés.
Le film présente des maladresses, comme les décors en manque de budget, les faux raccords ou encore le jeu très inégal des acteurs. Difficile de savoir si le réalisateur a toute liberté en 1959. Le film souffre surtout d’un déséquilibre de rythme. La première partie pose des éléments essentiels mais sa longueur et sa lenteur contrastent trop avec l’entraînement (la première confrontation a la réalité militaire et première faille dans leur vision fantasmée) et la bataille, trop vite expédiés. Ainsi, il n’y aura pas le temps de réfléchir sur les idéaux battus en brèche et leur conséquence psychologique ni de retour sur les donneurs d’ordre qui les ont abandonnés. Un meilleur rythme aurait bénéficié au film, lui donnant plus de force.