La politique n'a jamais eu de secrets pour le « cinéma social de divertissement » de Luchetti. Dans un de ses premiers films déjà, il arrivait à en faire un cercle accessible, démystifié mais pour de faux : lorsque le jeune ministre engage le discret mais brillant professeur pour écrire ses discours, on n'a pas l'impression que les deux hommes soient invisibles l'un pour l'autre. Seulement aussi différents que deux hommes peuvent l'être


Quant au génie du dévoué fonctionnaire, il n'est jamais porté aux nues, traversant à peine le voile de sa pourtant poreuse timidité. Personnage médian dans un monde médian, il complète un tableau cherchant un compromis qui a tout pour être fade entre l'individu et les Systèmes™.


Ce qui rend Il Portaborse palpitant, c'est qu'il nous fait tenir à l'intersection de plusieurs mondes grâce au goût de Luchetti pour l'administration des masses, mais pas verticaux comme l'invite à penser la hiérarchie sociale qu'il dépeint : horizontaux, comme le plan de la ville qu'on traverse chaque jour sans presque tenir compte des humains qui la peuplent. De manière similaire, la caméra devient le véhicule de relations qui sont humaines mais qu'on hésite pourtant à qualifier comme telles, puisque c'est le rapport des humains avec d'autres qui importe.


Luchetti nous confronte avec les difficultés qu'on a à transcender ses personnages – les nôtres, pas les siennes. Si on a ces difficultés, c'est parce qu'il ne donne pas l'impression d'en faire les instruments d'une sorte d'organigramme omnipotent, mais il ne nous cache jamais que la volonté individuelle est bafouée par cette politique conduisant de toute manière à la corruption.


En devenant la voix d'un homme politique, le professeur fait plus de politique que lui, révélant pourquoi ce n'est pas un monde inaccessible. Il en arrive à comprendre l'enjeu de ses propres cours, et que c'est dans l'éducation que repose la véritable ambition d'un futur différent – pas dans la politique grâce à laquelle il a pourtant acquis un pouvoir plus grand que celui du ministre à qui il donne ses mots. Il finit par y voir une forme de diplomatie en circuit fermé, parce qu'il est au cœur la machinerie. Autant que nous.


Quantième Art

EowynCwper
6
Écrit par

Créée

le 15 juin 2020

Critique lue 160 fois

Eowyn Cwper

Écrit par

Critique lue 160 fois

D'autres avis sur Le Porteur de serviette

Le Porteur de serviette
EowynCwper
6

À la recherche du vrai pouvoir

La politique n'a jamais eu de secrets pour le « cinéma social de divertissement » de Luchetti. Dans un de ses premiers films déjà, il arrivait à en faire un cercle accessible, démystifié mais pour de...

le 15 juin 2020

Du même critique

Ne coupez pas !
EowynCwper
10

Du pur génie, un cours de cinéma drôle et magnifique

Quand on m’a contacté pour me proposer de voir le film en avant-première, je suis parti avec de gros préjugés : je ne suis pas un grand fan du cinéma japonais, et encore moins de films d’horreur. En...

le 26 oct. 2018

8 j'aime

La Forêt sombre
EowynCwper
3

Critique de La Forêt sombre par Eowyn Cwper

(Pour un maximum d'éléments de contexte, voyez ma critique du premier tome.) Liu Cixin signe une ouverture qui a du mal à renouer avec son style, ce qui est le premier signe avant-coureur d'une...

le 16 juil. 2018

8 j'aime

1

Mélancolie ouvrière
EowynCwper
3

Le non-échec quand il est marqué du sceau de la télé

Si vous entendez dire qu'il y a Cluzet dans ce téléfilm, c'est vrai, mais attention, fiez-vous plutôt à l'affiche car son rôle n'est pas grand. L'œuvre est aussi modeste que son sujet ; Ledoyen porte...

le 25 août 2018

7 j'aime

3