Le Portrait de Dorian Gray est non seulement un chef-d'oeuvre de la littérature fantastique, mais aussi un grand classique du cinéma fantastique, mais un fantastique étrange, malsain et un peu onirique. Les grandes oeuvres littéraires ont parfois été trahies en étant portées à l'écran, mais ce roman d'Oscar Wilde, probablement son oeuvre la plus achevée et la plus sensible, a au contraire généré un film superbe qui restitue toute la sombre beauté du roman, ainsi que son côté trouble et sa dimension diabolique, éléments qu'on retrouve aussi dans "le Cas du Dr jekyll et de mr Hyde" écrit par Robert-Louis Stevenson dans cette fin d'Angleterre victorienne.
A cette même époque, Conan Doyle crée Sherlock Holmes, et un assassin mystérieux terrifie Londres en mutilant des prostituées (Jack l'éventreur). On retrouve tous ces éléments troubles et cette atmosphère victorienne chez Dorian Gray, ce mélange d'encanaillement des riches dans les bas-fonds londoniens, d'homosexualité latente, de raffinement très anglais, de corruption et d'avilissement contenus dans un tableau qui supporte toute la décrépitude d'un jeune lord ayant signé un pacte maléfique.
Tout ceci est merveilleusement servi par Albert Lewin qui en tant qu'esthète raffiné, a bénéficié du soin réputé des décorateurs de la MGM, et composé chaque image de ce conte fantastique avec une précaution d'orfèvre, jusque dans ses plans du fameux tableau en couleur, afin de faire mieux ressortir d'abord la beauté angélique du jeune Dorian, puis pour en stigmatiser la débauche symbolisée par la laideur progressive du portrait qui porte tous les péchés de Dorian, même les plus sordides et les plus abominables. Avec son dialogue ciselé, son noir et blanc somptueux qui donne un aspect menaçant, ses plans en couleur du tableau maudit, et ses acteurs, le film est un pur joyau du cinéma fantastique qui nous plonge dans les ténèbres de l'âme humaine.
Pour incarner Dorian Gray, Lewin a opté pour Hurd Hatfield, acteur beau comme un dieu à l'époque, et au jeu délicat, qui reste inoubliable dans ce personnage ténébreux, cynique et torturé, mais dont la carrière sera ensuite en demi-teinte, un peu comme si le fait d'avoir été Dorian Gray avait rendu impossible sa réapparition avec un visage plus âgé. Face à lui, l'immense George Sanders incarne de façon prodigieuse un gentleman érudit et encore plus cynique qui se délecte à jouer une sorte de génie du mal (qui dans le roman et le film est le personnage principal), et la séduisante Angela Lansbury (dont c'était seulement le second film), est une bouleversante chanteuse de music-hall ; le cast est complété par le très smart Peter Lawford et la délicieuse Donna Reed.
A noter que le tableau ayant subi différentes métamorphoses à la place de Dorian qui garde son éternelle jeunesse, a été peint par 2 artistes : Henrique Medina pour le portrait du Dorian jeune et beau, et Ivan Albright pour le portrait du Dorian décrépit portant les stigmates de ses vices.

Créée

le 8 mai 2021

Critique lue 887 fois

35 j'aime

35 commentaires

Ugly

Écrit par

Critique lue 887 fois

35
35

D'autres avis sur Le Portrait de Dorian Gray

Le Portrait de Dorian Gray
Dagrey_Le-feu-follet
8

"Les hommes se marient par lassitude et les femmes par curiosité. Ils sont l'un et l'autre déçus."

A Londres, en 1866, Basil Hallward peint le portrait d'un séduisant jeune homme, Dorian Gray. Ce dernier s'amourache de Sybil Vane, une chanteuse de cabaret, qu'il traite avec dédain et qui se...

le 30 déc. 2014

19 j'aime

6

Le Portrait de Dorian Gray
Watchsky
7

De l'autre côté du portrait

Alors qu'il admire un portrait à son effigie, Dorian Gray se met à rêver de rester jeune éternellement... Sorti en 1945 et produit par la MGM, Le Portrait de Dorian Gray éblouit de par sa grâce et...

le 13 janv. 2017

13 j'aime

10

Le Portrait de Dorian Gray
Before-Sunrise
6

Jeunesse éternelle

L'histoire du Portrait de Dorian Gray expose un désir universel, partagé par une grande partie de l'Humanité, celui de la jeunesse infinie et de la beauté intemporelle. Dorian Gray accepte de poser...

le 21 sept. 2011

13 j'aime

3

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Ugly
10

Le western opéra

Les premiers westerns de Sergio Leone furent accueillis avec dédain par la critique, qualifiés de "spaghetti" par les Américains, et le pire c'est qu'ils se révélèrent des triomphes commerciaux...

Par

le 6 avr. 2018

123 j'aime

98

Le Bon, la Brute et le Truand
Ugly
10

"Quand on tire, on raconte pas sa vie"

Grand fan de westerns, j'aime autant le western US et le western spaghetti de Sergio Leone surtout, et celui-ci me tient particulièrement à coeur. Dernier opus de la trilogie des "dollars", c'est...

Par

le 10 juin 2016

98 j'aime

59

Gladiator
Ugly
9

La Rome antique ressuscitée avec brio

On croyait le péplum enterré et désuet, voici l'éblouissante preuve du contraire avec un Ridley Scott inspiré qui renouvelle un genre ayant eu de beaux jours à Hollywood dans le passé. Il utilise les...

Par

le 5 déc. 2016

96 j'aime

45