Ayant adoré le livre de Wilde, j’étais très enthousiaste à l’idée de voir ce film, surtout après avoir déjà visionné quelques extraits au lycée. Eh bien, quelle réussite ! Filmé d’une main de maître par Albert Lewin, ce film retranscrit fidèlement le caractère et la sensibilité de chaque personnage, aussi bien la beauté et la grâce de ce cher Dorian, joué merveilleusement par Hurd Hatfield, que le cynisme terrible et la suffisance de ce dandy qu’est Lord Henry Wotton, en passant par l’innocence et la naïveté de Sybil. Pour une fois, je peux clamer haut et fort que ce film sert le livre et ne le dévalorise en aucun cas. Toutes les étapes du livre sont respectées, et à travers le dialogue, on retrouve toujours la plume habile de Wilde.

Chaque personnage est merveilleusement travaillé : Hatfield rend Dorian impassible, à la fois charmant et odieux, aussi bien attachant que repoussant. Le jeu d’Hatfield est saisissant, il rend bien compte de la grâce et de la finesse du personnage. Dans ses manières, dans sa façon de parler, on retrouve incontestablement l’âme de Dorian. Quant à Lord Henry, interprété par George Sanders, il prend encore plus d’ampleur dans le film. Dès le début, il se montre très persuasif, très mystérieux et terriblement attirant de part ses théories complètements folles mais habilement amenées. La splendide Angela Lansbury rend le personnage de Sybil encore plus touchant, appelant son fiancé « Sir Tristan » et non plus « Prince-Charming », le comparant ainsi à un chevalier de la table ronde, prêt à se dévouer pour elle. Je regrette cependant sa mort très prématurée dans le film.
Il n’y a vraiment qu’une chose qui me chagrine : la séparation entre Dorian et Sybil qui est quelque peu bâclée. On se souvient des terribles paroles de Dorian à l’égard de Sybil, cet air condescendant et odieux qu’il prenait pour lui faire part de sa déception et de cet amour qui n’est finalement plus qu’un souvenir honteux pour lui. Des mots insupportables, terriblement cruels : « Maintenant vous ne pouvez même plus exciter ma curiosité ! Vous n’avez plus aucun effet sur moi ! » Dans le film, Dorian se contente d’écrire une lettre (certes, cinglante), mais peu représentative finalement de sa personnalité : on a l’impression qu’il se dérobe et qu’il fuit ses responsabilités.

Quant au portrait qui est bien évidemment l'élément le plus important de l'intrigue, le changement d’expression du début (l’air cruel de Dorian qui apparaît sur le tableau), est superbement reproduit ! Cependant, le fait de transformer le tableau en une curiosité monstrueuse à la fin est peut-être quelque peu exagéré (même si j'avoue que ça peut être discutable).

Je note aussi quelques ajouts qui n’avaient rien à faire là mais qui ne sont pas particulièrement dérangeants cependant, notamment la présence de Gladys, charmante petite fille au début qui devient à la fin une jolie jeune femme qui se mariera avec Dorian. Évidemment, ces quelques ajouts ne sont pas toujours les bienvenus, un peu maladroits peut-être, et certains peuvent considérer qu’ils trahissent quelque peu l’œuvre de Wilde, en donnant notamment à Dorian une humanité dont il n’est pas vraiment doté. Mais le propre d'une adaptation est peut-être de rajouter quelque chose "en plus". Albert Lewin change du coup la raison pour laquelle Dorian tue un de ses meilleurs amis, Basil Hallward (pensant qu’il pourra révéler sa vraie nature à Gladys, il décide de l’éliminer). De la même manière, l’ambiguïté présente dès le début du livre entre Basil et Dorian n’est que peu abordée, et finalement, le peintre n’a pas une place de premier choix au sein du film, rendant le personnage quelque peu insignifiant. Malgré tout, ces petits défauts sont excusables, puisque l’adaptation cinématographique ne peut rendre compte de manière exacte de l’œuvre originelle : elle a toujours ses limites, ses insuffisances. Mais ici, cette adaptation ancienne (notons tout de même qu’elle date de 1945), est incontestablement réussie dans l’ensemble.
Jennis
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le 3 mai 2014

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