La Chine... Son extraordinaire pouvoir de fascination esthétique... Tout a pourtant été savamment, amoureusement reconstitué, jusqu’aux couches de peinture successives visant à obtenir le rouge unique qui recouvrait les murs de la Cité Interdite. Melvil Poupaud, en jésuite missionnaire du XVIIIème siècle, a travaillé minutieusement, grâce à la phonétique, son articulation du mandarin, puisqu’il incarne Jean-Denis Attiret, peintre officiel à la cour, chargé de fixer sur la toile l’image de l’impératrice, amoureuse mais dédaignée, la très belle Ulanara (Fan Bing-Bing).
En effet, Charles de Meaux, principal producteur des œuvres du cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, s’est trouvé fasciné à la fois par la Chine et par le portrait, réellement existant, de l’impératrice Ulanara, seconde épouse et ancienne concubine désormais délaissée. Entre celle de laquelle le regard de l’empereur s’est détourné et celle à laquelle le regard du peintre jésuite Jean-Denis Attiret a dû s’attacher au point de parvenir à la représenter, il a plu au producteur-réalisateur d’imaginer le lien qui avait pu se tisser entre le peintre et son modèle. Malgré tout le protocole en vigueur à la cour et emprisonnant les échanges humains dans un carcan de convenances, l’impératrice fixe le peintre - et, à travers lui, le spectateur - avec une esquisse de sourire. Comment le peintre venu de France est-il parvenu à s’attirer ce regard de Joconde ? La question avait de quoi captiver un réalisateur.
Le spectateur, avec lui, est magnétisé par la beauté de la culture chinoise, le savant entrecroisement des toits qui protègent la Cité Interdite, le raffinement extrême, mêlant sophistication et sobriété, des meubles de bois sombre, tout comme du moindre objet, sans parler des costumes... Chaque plan est renversant de beauté.
Et pourtant quelque chose ne prend pas, une magie centripète n’agit pas, celle qui devait faire chavirer les regards des deux principaux protagonistes et rendre le spectateur témoin du feu désirant courant sous la laque du protocole. Le visage de Fan Bing-Bing irradie l’écran de sa clarté neigeuse, mais aucune électricité ne circule et Melvil Poupaud est aussi peu convainquant en jésuite tourmenté par la concupiscence qu’il le serait en Viking norvégien. Lorsque nous parviennent des échos du tournage - l’inflation extrême de l’ego des deux acteurs principaux qui les poussait chacun à mettre toute leur application dans le fait de ne pas arriver premier sur le plateau, pour ne pas être celui ou celle qui attend l’autre, retardataire seigneurial ; l’angoisse - bien compréhensible - de notre jeune Gaulois face à l’articulation du mandarin... -, ces deux composantes suffisent déjà à réduire notre étonnement face au caractère figé, gelé, des scènes, face à l’absence de circulation de toute la lave qui, justement, devait fuser sous la glace.
Pourtant le filmage est inventif, superposant, par exemple, le dessin à la pellicule, dans la scène d’exposition, pour résumer un combat ; superposant les pellicules elles-mêmes pour faire apparaître le fantôme de la première épouse, initialement rivale et de plus en plus confidente bienveillante pour celle qui n’a hérité que de son titre, et non de son statut de femme aimée... Il n’empêche : autant les fantômes hantent et innervent les films d’Apichatpong Weerasethakul, autant les esprits semblent s’être détournés de cette réalisation française, l’abandonnant à sa beauté muséale.