Le portrait interdit (2017) / 94 min.
Réalisateur : Charles de Meaux
Acteurs principaux : Fan Bingbing - 范冰冰 ; Melvil Poupaud ; Huang Jue - 黃珏.
Mots-clefs : France ; Chine impériale ; Drame historique.
Le pitch :
Au milieu du XVIIIème siècle, le jésuite Jean-Denis Attiret est un des peintres officiels de la cour impériale de Chine. Il se voit confier la tâche honorifique de peindre le portrait de l’impératrice Ulanara. Cette concubine devenue impératrice à la suite de la mort de la première femme de l’empereur Qjen Long aura un destin très particulier. Sorte de figure romantique avant l’heure, il ne restera d’elle que ce portrait à la sensualité énigmatique de la Joconde asiatique. Le film raconte ce moment fiévreux où l’impératrice chinoise rencontre le peintre jésuite.
Premières impressions :
Sorti en début d’année 2018, « Le portrait interdit » fait partie des nombreux films qui ont éveillé ma curiosité et dont ma procrastination a eu raison. Entre le prix des places, le manque de temps et tout un tas d’autres excuses, le film n’était plus à l’affiche depuis longtemps que je réfléchissais encore devant une tasse thé. Heureusement, la fête de la VOD m’a permis hier de répondre enfin à mon envie pas très pressante de l’hiver dernier. Réalisé par l’artiste, et réalisateur français Charles de Meaux, « Le portrait interdit » est une des rares coproductions franco-chinoises à ne pas être restées confidentielles et, si je n’ai pas du tout aimé le film, je dois reconnaître que le réalisateur fait partie de la courte liste de ceux qui osent.
Charles de Meaux ose même beaucoup. Il ose tourner un film chinois, en Chine, majoritairement en chinois. Il ose s’emparer du passé de la cours impériale et du tragique de la véritable histoire de l’impératrice Ulanara, faisant reconstituer les vêtements, les bijoux et la cour d’époque. Pour sublimer l’impératrice, il ose diriger la star Fan Bingbing dans un duo avec un français, Melvil Poupaud, au mandarin balbutiant mais au jeu juste. Et non seulement il ose, mais surtout on sent que le cinéaste respecte la culture, l’histoire, le lieu et qu’il veut casser les codes de la narration à l’européenne pour un projet fou : réaliser son « épouses et concubines ».
Hélas, à force d’oser, on devient parfois présomptueux et si j’applaudis l’intention et le désir de faire un film subtil et artistique, je ne peux malheureusement que constater l’échec d’une œuvre finale qui m’a pompeusement ennuyée voire carrément frustré. Imaginez, une histoire d’amour interdit entre une impératrice chinoise et un peintre jésuite, avec tout le drame intime, religieux et politique que cela présuppose, avec toute la subtilité des sentiments que l’on peut imaginer et la peur glaçante de se faire prendre, sans parler de l’angle historique, il y avait là matière à raconter une des plus belles fresques de l’histoire du cinéma.
Malheureusement, si Charles de Meaux a eu l’extrême intelligence de s’emparer de cette histoire, il ne sait pas la transcender à l’écran. Le rythme est lent, mais les scènes sont vides de sens et d’émotion, transformant le contemplatif en ennui. Il n’y a jamais aucune surprise, aucun enjeu, aucun rebondissement. Toute l’avancée du scénario passe par des scènes de dialogues explicatifs et presque jamais par l’action, le film nous dit plutôt qu'il ne nous montre. Les premiers rôles comme les boniches n’ont pas l’air d’avoir de substance en dehors de leur passage à l’écran et leurs présences ne sont justifiées que pour le décorum et pour débiter du narratif. Tandis qu’un regard subtil, qu’un peu de rouge sur les joues, ou qu’un silence gêné aurait suffit à faire passer tous les enjeux, De Meaux fait des gros plans sur les eyes contact, qu’il fait suivre de dialogues explicatifs pompeusement accompagnés de musiques envahissantes, qu’il redouble encore de monologues plaintifs et bardés d’effets spéciaux, quand il ne nous fait pas carrément entendre les pensées des personnages dans une fainéantise absolue comme s’il avait peur que son public rate l’essentiel, annihilant par la même la magie qui aurait pu se dégager du film, transformant la finesse de la soie en grosse toile de jute.
Côté réalisation, la composition des plans est ennuyeuse à mourir avec une action systématiquement placée au deux tiers, un tiers de l’écran de façon à ce que la majorité de l’image ne montre que le vide. Le style oscille entre le grandiose et le plat, entre le cinéma et le documentaire historique sur fond vert. Les pièces sont montrées en diagonales et les sentiments en gros plans. De Meaux ne cesse de changer de style visuel entre fresque historique, téléfilm et documentaire Arte, capable de passer d’un plan de cinéma grandiose à un effet spécial qui ne ferait pas tâche dans un mauvais film d’exploitation vietnamien, rajoute de l’animation, de l’horreur... Le réalisateur certainement a voulu provoquer, choquer visuellement le spectateur pour faire naître l’émotion, mais personnellement ces incohérences de formes m’ont fait sortir du film cinq ou six fois. Sans être fermé aux expérimentations, je pense qu’un film a besoin d’une unité de style, quel qu’il soit, pour que l’on puisse s’y transporter.
Alors bien entendu, je suis sévère avec le film, trop peut-être, parce qu’encore une fois ce film a en lui tous les éléments pour en faire un grand film. L’histoire de base est bonne, le cadre et le travail documentaire est chiadé, les acteurs sont bons et sonnent justes, Fan BingBing est magnifique en impératrice et Melvil Poupaud est bien plus convaincant en jésuite que ne l’étaient Adam Driver ou Liam Neeson en prêtres catholiques dans Silence de Scorsese, film lui aussi raté à cause de son excès de parlote, même si Le portrait interdit sent beaucoup moins le loco-centrisme que le film américain.
Pour conclure, Le portrait interdit ressemble à un énorme gâchis de matière première magnifique et de belles intentions qui confondent le contemplatif avec l’ennui et le cinéma avec une performance artistique visuelle. Un film où le très bon jeu des acteurs ne suffit à masquer l’inconstance de la réalisation et le vide narratif. En bref, un film français d’auteur qui aurait presque pu mais qui n’a pas su garder l’épure nécessaire au chef d’œuvre.