"Le Premier Maître" se démarque du film suivant de Kontchalovski, "Le Bonheur d'Assia", dans sa dimension relativement ethnographique, en choisissant pour cadre le début des années 20 soviétiques, dans un minuscule village kirghize à la frontière chinoise. Un ancien soldat reconverti en instituteur est envoyé par le gouvernement communiste pour éduquer la population locale, afin de les sortir du poids des traditions ancestrales qui les aliène et les laisse dans leur inculture — pense-t-il. Sauf que ledit instituteur ne se révèlera pas beaucoup plus éclairé, et pire, carrément imbu de sa personne à travers la tâche quasiment messianique que le régime lui a confiée. Un personnage certes très volontaire, mais parfaitement inexpérimenté et maladroit, qui tentera de faire classe à quelques enfants dans des conditions matérielles assez peu adaptées.
Avec son étoile rouge (enfin, on suppose vu que le film est en noir et blanc) sur la tête, il faut voir le pauvre homme s'évertuer à délivrer les enseignements du parti, à faire répéter aux enfants illettrés "so-cia-lisme" inlassablement, tout en suant à grosses gouttes dans ce qui n'était jusqu'alors qu'une étable. Les saisons passent, alternant entre une chaleur suffocante et une rivière gelée qu'il faut traverser en hiver, mais son opiniâtreté pour convertir les villageois ne semble connaître aucune limite. L'indifférence qu'il suscite ne semble en rien altérer sa mission de propagande, et c'est dans ce contraste que l'on ressent toute l'ironie du ton employé par Kontchalovski. Pieds nus dans une rivière glacée, à charrier de lourdes pierres pour dresser un pont évanescent, on n'est pas loin du Sisyphe oriental.
À côté de cette thématique liée au catéchisme soviétique qui flirte régulièrement avec la comédie, le film évoque également le mode de vie des habitants, dans l'arrière-plan, avec l'élevage, la religion, la pratique d'arts, les rites de combat lors des conflits, et l'influence d'un seigneur local plutôt vindicatif. Le protagoniste traverse cet univers toujours un peu en retrait (non sans recevoir quelques coups au passage), enfermé dans son obstination décalée, quand bien même il serait à côté de la plaque et presque conscient de l'être. Mais à l'instar des locaux, jamais Kontchalovski n'usera d'un ton condescendant pour l'observer : simplement une dérision empreinte de tendresse, avec une pointe de respect dans l'ultime séquence, énième recommencement de la mission qu'il s'est fixée.