Chaque tour de magie comporte trois parties, ou actes. Le premier s’appelle la promesse : le magicien vous présente quelque chose d’ordinaire. Le deuxième acte s’appelle le tour : le magicien utilise cette chose ordinaire pour lui faire accomplir quelque chose d’extraordinaire. Mais vous ne pouvez vous résoudre à applaudir, parce que faire disparaître quelque chose est insuffisant, encore vous faut-il le faire revenir. Alors vous cherchez le secret mais vous ne le trouvez pas parce que, bien entendu, vous ne regardez pas attentivement. Vous n’avez pas vraiment envie de savoir… Vous avez envie d’être dupé.

Avec cette magnifique épanadiplose énoncée par le personnage de Michael Caine, le réalisateur / scénariste annonce toute l’intention de son histoire : nous duper. Mais plus que cela, quand le film parle de magie, il parle avant tout de cinéma. Qu’est-ce qu’est le 7ème art si ce n’est le fruit d’un artiste qui dirige notre regard pour nous faire croire à des merveilles ?

Revenons quelques années en arrière, en 1995, suite au succès du roman The Prestige de Christopher Priest. L’auteur est approché par des producteurs pour une adaptation du livre à l'écran. Christopher Priest a été impressionné par les films Following et Memento.

En 2000, Christopher Nolan est au Royaume-Uni pour assurer la promotion de Memento et lit le roman de Christopher Priest. Il en discute avec son frère, Jonathan Nolan, lors d'une promenade dans le cimetière de Highgate (qui sera le cadre d'une scène du film). Un an plus tard, les droits d'adaptation du roman sont achetés par Aaron Ryder de Newmarket Films, studio de production qui a financé Memento.

Un long processus d'écriture commence alors, les deux frères travaillant par intermittence sur le scénario pendant plus de quatre ans. Ils mettent en avant la magie de l'histoire à travers une narration théâtrale, minimisant les descriptions visuelles des tours de magie. Le scénario en trois actes est délibérément structuré autour des trois éléments de l'illusion présentée : la promesse, le tour et le prestige. Christopher Nolan explique qu'il lui a fallu longtemps pour comprendre comment adapter à l'écran les techniques très littéraires qui conduisent l'intrigue.

Bien que le film soit fidèle aux thématiques du roman, deux changements majeurs sont effectués durant le processus d'adaptation. L'intrigue secondaire spiritualiste est supprimée et la partie de l'histoire à l'époque moderne (avec les descendants des deux magiciens) a été remplacée par les scènes de Alfred Borden en cellule attendant sa pendaison. Après avoir vu le film, Christopher Priest a approuvé les changements opérés, affirmant que le script était incroyablement brillant et regrettant de n'avoir pas eu certaines idées introduites dans le film.

The Prestige sort en 2006 entre Batman Begins et The Dark Knight.

Bien que les magiciens du roman soient fictifs, le thème de la rivalité est inspiré par l'esprit de compétition assez répandu entre magiciens durant l'ère victorienne comme par exemple celle vécue par deux prestidigitateurs au XIXème siècle, entre Giuseppe Pinetti (surnommé le Professeur, comme le personnage de Alfred Borden) et Edmond de Grisy. L’histoire raconte que le chevalier Giuseppe Pinetti aurait conduit Edmond de Grisy, alors à ses débuts d'escamoteur, à se ridiculiser lors d'une représentation.

Hugh Jackman exprime son intérêt pour tenir le rôle de Robert Angier après avoir lu le scénario et rencontrer Christopher Nolan. Le réalisateur sort de la rencontre convaincu que Jackman possède le sens du spectacle qu'il recherche pour son personnage. Pour son rôle, Hugh Jackman s'inspire du style du prestidigitateur des années 1950 Channing Pollock.

Christian Bale est choisi pour le rôle de Alfred Borden. Bien que Christopher Nolan l'ait déjà dirigé dans Batman Begins, le cinéaste n'avait pas pensé à Christian Bale pour ce rôle jusqu'à ce que l'acteur le contacte pour lui dire qu'il était intéressé par le personnage. Le réalisateur est alors immédiatement séduit par l'idée, estimant que Bale est parfait pour le rôle. On peut aussi noter que Michael Caine (qui a aussi joué dans Batman Begins) est choisi pour un rôle de père ou de guide pour Robert Angier.

Les deux magiciens auront leur propre truquage pour réaliser le fameux tour de magie de l’homme transporté. Là où Alfred Borden utilise un effet tangible, Robert Angier utilise une machine fantastique tout à fait condamnable d’après la morale du film. Une condamnation qui n’est pas sans rappeler le point de vue de Christopher Nolan sur les effets spéciaux numériques irréels, lui qui ne jure et ne jurera que par les effets spéciaux pratiques, de par son obsession pour le réalisme.

La thématique de l’amour familial, qui se retrouvera dans la suite de la filmographie de Christopher Nolan, s’incarne ici par le motif de la femme perdue. La motivation première de Robert Angier reste la vengeance de la mort de sa femme causé par Alfred Borden en début de film, tandis que l’obsession et la névrose de ce dernier amènera lui aussi à perdre la sienne. Un leitmotiv plus qu’évident lorsque l’on sait que Christopher Nolan est en couple avec Emma Thomas, depuis leur rencontre à l’université en 1995. Épouse, mais aussi collègue de travail puisqu’elle est productrice de tous ses films.

Ce sont Scarlett Johansson et Rebecca Hall qui incarnent les deux amours de la vie de Alfred Borden et qui peuvent mettre la puce à l’oreille sur le prestige qui se déroule devant nos yeux.

La narration parfaite permet au film de ne pas s’alourdir du fait de ses flashbacks assez nombreux révélant l’intrigue au fur et à mesure de l’histoire. Le twist final renforce d’ailleurs d’une manière considérable son intérêt et lui permet d’être revu une seconde fois même après avoir compris ses nombreuses révélations. Comme l’explique Harry Cutter, chaque tour de magie se compose en trois parties, la première s’appelle « La Promesse », le deuxième acte  « Le Tour », et le dernier « Le Prestige » là où la magie opère. De cette manière, l’histoire du film peut s’appréhender comme un tour de magie composé de la présentation de la situation dans laquelle se trouve chaque personnage ; de l’instant où le spectateur cherche à comprendre en détails l’intrigue puis de l’explication dans l’acte final où les différentes pièces du puzzle s’assemblent. Pour preuve de ce postulat de départ, tout au début du film, la voix de Alfred Borden demande : « Êtes-vous bien attentif ? », en prémices aux évènements à venir.

La clé du film réside donc, tout simplement, dans la citation en début de critique. Christopher Nolan, réalisateur connu pour ses intrigues complexes, se mue ici en magicien pour émerveiller son spectateur, le berner, le faire douter… On pourrait presque lui reprocher d’être prévisible dans son dénouement, mais n’est-ce pas là non plus, parfois, le lot des tours de magie ? Une solution qui paraît évidente, mais pourtant le magicien parvient à nous distraire et à nous faire douter suffisamment pour nous égarer, ce qui est indubitablement le cas ici.

Les trois actes de magie énoncés font écho aux trois actes qui structurent tout récit de cinéma : L’exposition, le développement et le dénouement. Le terme de pacte réfère aussi au début d’un livre dans lequel le spectateur accepte de se plonger et de croire tout écrit. L’équivalent dans cinématographique est la suspension d’incrédulité : nous savons que ce que ce que nous voyons est faux mais nous acceptons de croire et de nous investir dans le récit, nous acceptons d’être dupés. Et Christopher Nolan le fait avec brio car comme à son habitude, il nous manipule.

Quoi de mieux qu’une histoire sur des manipulateurs pour manipuler le spectateur. Tel un magicien, le réalisateur / scénariste dirige notre vision et détourne notre attention pour multiplier une fois encore les retournements ingénieusement installés et révélés. Pour cela, Christopher Nolan adapte les différents points de vue épistolaires du roman en une narration éclatée en trois timelines parfaitement maîtrisées. L’alternance de focalisation et de temps du récit atteint alors son paroxysme dans son cinéma tellement elle n’aura été si complexe tout autant que compréhensible.

The Prestige est un véritable tour de magie qui dupera le spectateur tout en ayant un incroyable nombre de niveaux de lecture. Il est une véritable lettre d’amour pour le cinéma de la part de Christopher Nolan et une œuvre somme qui réunira tous ses codes et intentions. Et malgré son allure intimiste et minimaliste, ce chef d’œuvre est une réalisation incontournable pour saisir l’essence de l’art de son auteur.

StevenBen
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le 17 juil. 2023

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Steven Benard

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