J'adore m'intéresser aux fonds de catalogue, aux films qui passent complètement sous le radar. Souvent, ce sont des films d'horreur pétés qui me donnent envie de me scarifier d'ennui, parfois ce sont juste de bons petits moments, et quelquefois ce sont de vraies belles œuvres qui méritent un peu plus de visibilité dans ce monde de brutes.
Et question brutalité, God is a Bullet en connait un rayon.
Alors bon, sur le papier le scénario est une série B assez simple : C'est un Taken où Liam Neeson affronte la secte de Charles Manson dans le désert accompagné de Lisbeth Salander de Millenium. On ajoute à ça les codes du road, du buddy et du redneck movie avec quelques petits morceaux de Mad Max parce que pourquoi pas, et on obtient ce curieux objet de 2h30.
A ce titre il faut dire que le film a quelques longueurs, souvent ça se justifie car le réalisateur se concentre beaucoup sur son duo principal, sur leurs conflits et leur complicité grandissante, et road movie oblige, on a beaucoup de lieux différents et beaucoup de dialogues, ce qui donne au film un rythme particulier, assez planant mais brusquement bouleversé par des fulgurances de violence extrême saisissantes, comme l'attaque du début du film qui débarque sans prévenir, détruit tout puis s'en va aussi vite qu'elle est arrivée.
Ce qui rythme le film, au-delà des étapes de son voyage, c'est la progression de ses protagonistes. Nikolaj Coster-Waldau le papa flic catho au grand cœur qui va découvrir qu'à l'extérieur de son monde le bon Dieu a tiré la chasse, et Maika Monroe, la jeune femme brisée par la vie et la saloperie humaine qui va tenter d'affronter les démons de son passé pour trouver un peu de lumière dans le trou du cul de l'Amérique. A ce titre, soulignons que les deux comédiens sont formidables : Je n'ai pas vu Game of Thrones parce que j'ai une vie, mais Nikolaj incarne parfaitement cet homme qui va devoir remettre en cause tout ce en quoi il croit pour sauver sa fille, sans tomber dans la caricature d'un candide qui serait vite saoulant; mais c'est surtout Maika Monroe qui impressionne, le film est presque construit entièrement pour elle, elle a une présence magnétique à l'écran, un charisme qui la rapproche de la Lisbeth Salander de Rooney Mara dans le Millenium de Fincher. Ce duo improbable et cette histoire de vengeance contre une secte de satanistes va permettre d'aborder le sujet de la foi et surtout du Bien et du Mal. Sur ce dernier point, le film nous fait rapidement comprendre que la frontière entre les deux est partie prendre sa dose de crack, ce qui va bien sûr entrainer la remise en question de la foi de Nikolaj, en opposition à Maika qui bien évidemment n'a aucune raison de croire en Dieu. Tous deux trouvent finalement un terrain d'entente sur le sujet, à savoir la violence et l'impartialité d'une balle quand il s'agit de provoquer cette dernière. "God is a bullet". La seule et unique religion de l'Amérique, celle qui lie tous ses habitants qui pourtant vivent dans le déni depuis des siècles, c'est le meurtre. La justice divine n'existe pas, seule la loi du Talion prévaut en toute circonstance, et si tu veux obtenir réparation tu ne peux compter que sur toi-même et sur un flingue chargé. Tout le reste, c'est de la pisse.
Amer constat d'un pays qui n'a jamais réussi à soutenir son reflet dans le miroir, dans un déni puritain perpétuel de sa véritable nature de nation barbare où le business justifie tout, y compris la foi.
Heureusement qu'on a le cinéma pour faire crever les connards !
La violence de God is a Bullet est avant tout factuelle : Qu'est-ce qui se passe si tu te prends un tir de fusil à pompe dans la tête ? Bah t'as plus de tête. Le film nous montre cette violence de manière crue, ce qui ne l'empêche pas d'avoir quelques instants de folie furieuse, comme un personnage exécuté d'environ 20 balles dans la gueule, nous offrant des images assez perturbantes. Le but est de nous faire ressentir la cruauté d'un monde underground sans pitié, le corps est équitablement détruit pour tout le monde, ce qui nous place dans une posture dérangeante en tant que spectateurs, à la fois dégoûtés et fascinés par la déferlante de sang et de chair explosée, nous devenons aussi sauvages et impitoyables que les méchants et les protagonistes qui les affrontent.
Un film sordide mais pas dénué d'humanité, avec même une part de douceur qui a la vertu d'être pudique, et en disant ça je pense évidemment à la romance, très sobre car dans un contexte aussi noir, un déluge de bons sentiments aurait été malvenu voire vulgaire. Une romance qui sonne très juste car tout passe par les regards, les petits gestes anodins, des mots d'affection minimaux mais signifiants. Certains la trouveront en trop dans l'histoire ou la jugeront questionnable moralement, mais Cassavetes ne juge pas ses tourtereaux, il fait de leur romance le point de chute logique de deux parcours de personnages tortueux recherchant la paix dans un monde où elle est a priori inaccessible.
Alors je n'irai pas jusqu'à dire que God is a Bullet est une grand histoire d'amour, bien sûr, mais l'aspect romantique m'a vraiment bien plu et offre un certain réconfort au milieu du pessimisme ambiant. En sortant du film, on a moins envie de se tirer une balle qu'au début parce qu'on voit qu'il y a encore quelques petites choses à sauve de cette humanité malade, et c'est déjà pas si mal.
Alors bien sûr je n'irai pas prétendre que God is a Bullet est un futur classique ou un film qui mérite autant de visibilité que la dernière marvelerie périmée, mais il m'a personnellement touché là où ça fait du mal et du bien en même temps, et de cette année 2024 qui s'annonce florissante en termes de sorties cinéma, j'ai bien envie de le garder comme un bon moment.