Le biopic est un genre cinématographique particulièrement risqué, qui donne presque toujours lieu à de mauvais films, mais offre également l’occasion de rafler de nombreuses récompenses aux Oscars (ce qui explique sans doute l’attrait des acteurs et cinéastes pour ces mascarades souvent pénibles).
« Pawn Sacrifice », ou « Le Prodige » est un film d’Edward Zwick consacré à la vie du joueur d’échecs américain Bobby Fischer.
Même à un néophyte total, le nom de Fischer pourra dire quelque chose. Outre sa célébrité, due au jeu, Fischer avait pris pour habitude de multiplier – en particulier dans ses dernières années – les propos antisémites, anti-américains, anti-tout… C’est d’autant plus dommage que le caractère peu recommandable du bonhomme fait parfois oublier son indéniable talent pour le jeu d’échecs (il est considéré comme l’un des plus grands joueurs de tous les temps). La renommée de Fischer, avant ses déviances et sa paranoïa, provient du championnat du monde qu’il disputa en 1972 face au russe Boris Spassky, une rencontre lourde de de sens dans ce contexte de Guerre Froide.
C’est l’évènement sur lequel le film de Zwick se concentre. Après une brève introduction, Zwick fait le choix de se focaliser sur la préparation de Fischer pour le match, ses difficultés rencontrées (liées à son caractère). Enfin un biopic ne se contentant pas d’énumérer platement toutes les péripéties de la vie d’un personnage historique ! En choisissant de ne traiter que cet évènement – clairement le pinacle de la carrière de Fischer – Zwick peut se consacrer à un seul sujet. Cela lui donne tout loisir de développer ses personnages, de couper le superflu et de ne montrer que l’intéressant.
Le film est servi par une réalisation plutôt sobre, ce qui est assez rare de nos jours pour le souligner. D’une manière générale, Zwick réussit assez bien à recréer l’atmosphère particulière de la compétition, et à rendre intéressant le jeu d’échecs. Au contraire d’un sport très visuel, les échecs ne constituent pas un jeu spectaculaire. Le néophyte ne comprendra pas la moindre position, et même un initié ne sera pas beaucoup plus à même de mesurer le génie de joueurs de ce niveau. La difficulté, pour le metteur en scène, consiste alors à rendre une partie vivante et attractive pour tous les spectateurs, en lui communiquant les enjeux et les instants clé. À cet égard, il convient de saluer les efforts de Zwick. Les quelques parties montrées à l’écran ont lieu dans une ambiance tendue, et sont analysées en quasi temps réel par d’autres personnages du film, permettant au public, sinon d’apprécier, au moins de comprendre le jeu qui se déroule sous ses yeux.
Le film n’est en outre pas trop long, et jamais ennuyeux. J’avais une certaine appréhension concernant le peu charismatique Tobey Maguire, mais force est de reconnaître qu’il s’en tire très bien. Le caractère fantasque, génial et excessif de Bobby Fischer en fait un personnage au potentiel jubilatoire certain, et Maguire s’amuse bien et livre une prestation vivante. Il est toutefois difficile de juger dans quelle mesure le succès de celle-ci est dû à son apport personnel et non au simple caractère du personnage qu’il incarne. Les autres acteurs sont corrects, et j’ai toujours plaisir à revoir Michael Stuhlbarg.
Evidemment, le film est loin d’être parfait. Dans la grande lignée des biopics à Oscars, on pourra reprocher à Zwick d’insister un peu trop lourdement sur le côté paranoïaque de Fischer (plus un personnage est un marginal, mieux c’est), et sur les enjeux géopolitiques du match (plus le contexte international est tendu, mieux c’est). Ces enjeux étaient bien réels – il n’y a qu’à voir les innombrables cas de dopage des athlètes soviétiques et est-allemands aux Jeux Olympiques dans le seul but de prouver la supériorité de l’homme du bloc de l’est –, mais l’insistance de Zwick est parfois excessive. On pourra reprocher également une certaine théâtralité au film, ou encore un rythme parfois mal maîtrisé. Que l’on se rassure, ces quelques éléments ne nuisent pas au déroulement du film, qui demeure un divertissement agréable dans une large mesure.
Se concentrant sur un évènement précis, le championnat du monde de 1972 face à Spassky, le film d’Edward Zwick évite les pièges habituels du biopic. Représentant habilement à l’écran la complexité et la tension d’une partie d’échecs professionnels, le réalisateur nous emmène à Reykjavik pour l’affrontement du prodige de Brooklyn et du gentleman de l’URSS. Le film n’est pas exempt de défaut, mais, pour la représentation d’un jeu intéressant et trop peu présent au cinéma, et la réussite d’un biopic, il ne faut pas bouder notre plaisir.