Je découvre le cinéma de Grigori Tchoukhraï avec ce film étrange, annonçant davantage une tragédie qu'une épopée de prime abord... Commençant comme un huis-clos désertique Le Quarante-et-unième change littéralement d'orientation scénaristique au coeur de son métrage, brisant avec incongruité la règle des trois unités tant attendue au regard de l'exposition initiale.
En un mot comme en cent le film de Tchoukhraï est - de toute évidence - une remarquable splendeur formelle et visuelle. La photographie huileuse et fulminante du chef opérateur attitré de Kalatozov, les cadrages et les surimpressions hérités de l'âge d'or du cinéma muet ( certaines fulgurances renvoient aussi bien aux attractions du cinéma de S.M. Eisenstein qu'à l'aboutissement plastique des films de Murnau ou certains métrages de Pabst...) font de ce petit film sentimentaliste un superbe joyau cinématographique.
On peut reprocher à Tchoukhraï une conduction narrative parfois bancale, raboteuse voire ennuyante dans son installation mais totalement rehaussée par la puissance visuelle des images, située quelque part entre la texture pittoresque du cinéma de Paradjanov et la virtuosité stylistique de Mikhail Kalatozov. Surprenante description de l'état amoureux entre une victime et son bourreau ( le film n'est rien de moins qu'une vision inversée du Syndrome de Stockholm ) La Quarante-et-unième est un poème hypnotique d'une beauté martienne et envoûtante, à découvrir impérativement dans les meilleures conditions. Somptueux.