- C'est difficile quand on est neutre de comprendre cette guerre.
- Imaginez quelqu'un du Sud dont la maison a été brûlée par le général Sherman... et sa famille anéantie. Comment lui expliquerez-vous cette guerre ?
- À quoi s'attendaient-ils ? Aux bonnes manières du Sud ? Ils nous anéantiraient s'ils le pouvaient.
- Et s'ils brûlaient Saint Alban ? Les comprendriez-vous ? Leur pardonneriez-vous ?
Le réalisateur Hugo Fregonese fait encore un petit miracle en proposant un très bon film en apparence classique qui finalement transgresse un à un tous les codes du western traditionnel en prenant tout du long à contre-pied les clichés du genre. Que ce soit l'histoire d'amour classique, la fameuse rédemption du héros, ou encore le principe de l'honneur, jusqu'au regard sublimé de l'enfance devant une figure héroïque, rien n'est épargné par le cinéaste qui sur un ton grave et réaliste ne fait preuve d'aucun sentimentalisme afin de n'embellir aucune situation du récit pour mieux coller à l'intrigue basée sur un évènement historique. Le 19 octobre 1864, 21 cavaliers confédérés ont cambriolé trois banques au sud de Saint Albans dans le Vermont. Une grande victoire pour les confédérés qui en plein territoire Nordiste ont non seulement réalisé une incroyable infiltration en terre ennemie, mais sont également parvenu à fuir vivant avec le butin. Butin qui servira à alimenter les finances de l'armée confédérée. L'intrigue de The Raid ne s'éloigne pas trop des faits réels et permet une véritable relecture de cet épisode consacré à la guerre de Sécession.
L'on suit le capitaine de l'armée confédéré Neal Benton (Van Heflin) qui s'infiltre dans la ville de Saint Albans afin de préparer le terrain pour l'invasion confédérée à venir en complotant à travers une approche cinématographique adroite qui brille dans sa conception proche du thriller noir. Tout du long de sa mission Benton interagit avec les habitants qui sont pro-Nordiste développant au passage une liaison romantique avec la ravissante Katie Bishop (Anne Bancroft), et paternaliste envers "Larry" (Tommy Rettig), le fils de celle-ci. Van Heflin qui est est fabuleux dans ce rôle, se trouve intimement tiraillé entre sa mission et ses émotions, sachant qu'il devient par inadvertance le héros de la ville en se débarrassant d'un agresseur qui n'était nul autre qu'un de ses hommes infiltrés enivré qui risquait de faite tomber sa couverture. Il semble qu'Hugo Fregonese prenne un malin plaisir à mettre Van Heflin dans des positions morales inconfortables le poussant dans une attitude de colère interne qu'il digère difficilement en n'oubliant nullement qu'il est avant tout un soldat qui a tragiquement perdu son domicile, sa femme et ses enfants après le passage de l'armée nordique, l'incitant à rejoindre l'armée des confédérés. La guerre de Sécession américaine ne peut qu'être réduite à un conflit pour ou contre l'esclavage. Un background qui traduit toute la complexité de ce personnage qui fait très réelle dans son attitude et qui marque une véritable interrogation sur les "héros" et les "méchants" de l'histoire américaine que ne manque pas de démolir le cinéaste.
Anne Bancroft en tant que Katie Bishop offre une performance nuancée et sensible dans le rôle de propriétaire d'une pension locale qui tout comme Benton a connu les affres de la guerre qui a emporté son mari. Une dualité terrible entre Benton et Katie que tout rapproche en temps de paix mais que tout divise en temps de guerre. Chacun des deux refuse le pardon au clan opposé car ayant emporté les gens qu'ils aimaient les condamnant à tenir une position extrême sur l'image des Sudistes et des Nordistes. Un constat tragique terrible à l'effigie d'une guerre fraternelle ayant engendré la destruction de l'idéologie américaine. Le jeune Tommy Rettig (à l'époque) pour Larry est efficacement incarné. On perçoit toute l'idéologie affective qu'il lie auprès de Benton qu'il voit comme un héros. Lee Marvin sous les traits du lieutenant Keating dépeint brillamment son personnage instable facile de la gâchette et de l'alcool qui représente le soldat meurtri par excellence qui veut remplir son devoir quoiqu'il en coûte. Le comédien pour l'une de ses premières incarnations livre déjà une performance remarquable. Richard Boone fait du bon travail en incarnant le capitaine Lionel Foster, appartenant à l'armée des tuniques bleues. Le comédien amène beaucoup de négativité à son personnage blessé dans sa chair et dans son esprit qui trouve finalement en Benton le courage qui lui a fait longtemps défaut, poussant toujours plus l'ironie diabolique autour de Benton.
The Raid traduit l'absurdité et la complexité d'une guerre fratricide où chacun des camps ne voit le mal que chez les autres, et où le terme "gentil côté" est à manipuler avec beaucoup de précautions. Une guerre aberrante qui sera à l'origine d'un grand massacre des deux côtés avec une perte de près de 620 000 soldats avec des pertes civiles encore plus élevée. Hugo Fregonese amène avec dextérité son oeil expert de cinéaste à cette histoire en proposant une adaptation remarquable qui joue efficacement de l'attente et du suspense tel un Hitchcock en puissance. Ce western atteint un point culminant dramatique par le biais d'une incompréhension totale entre deux mêmes peuples qui sont pourtant si similaire, et si subtilement dépeint à l'écran avec un point névralgique qui atteint son paroxysme atmosphérique lors de l'impitoyable conclusion finale. The Raid laisse éclater toute sa substance conflictuelle lors d'une séquence de fin assez violente dans laquelle les confédérés braquent et incendient de nombreux bâtiments de la ville. Techniquement, The Raid est de haute volée surpassant habilement son format série B via une destruction finale des plus saisissantes et surprenantes.
CONCLUSION :
Hugo Fregonese présente avec The Raid un petit miracle du western qui vient défigurer l'image symbolique et idéologique des héros emportés par le torrent d'une guerre fratricide aux terribles conséquences. L'interprétation des comédiens est fabuleuse, Van Heflin en tête qui déconstruit avec crédibilité et conviction la figure caricaturale des confédérés. La véritable star est Fregonese qui dépeint avec détermination et croyance un récit qui dramatiquement fait très mal avec une élaboration technique fantastique autour d'une atmosphère savamment alimentée en suspens et en angoisse. Avec dextérité, le cinéaste livre un récit qui transgresse tous les clichés et les concepts traditionnels du genre jusqu'au terrifiant final qui dans une conduite définitivement inaccoutumée vient conclure une histoire lourde de sens.
The Raid est un western qui fonde sa morale sur les contradictions et les déchirements d'un même peuple en esquivant avec génie tout manichéisme à travers une ironie purement diabolique.
- Vous...
- Ne bouge pas. Je suis un confédéré.
- Non, vous en avez tué un.
- Ecoute... il y a des choses à la guerre qui sont dures à expliquer. Même si on aimerait être compris. Même si... Un soldat agit parfois contre son gré.
- Vous êtes un espion.
- Non, crois-moi. Ton père aurait peut-être pu t'expliquer. Tu sais... il s'est battu pour son pays. D'autres, comme moi, se battent aussi pour leur pays.
- Vous êtes un sale espion!