C'est un des premiers films où José Giovanni est à la mise en scène. Mais Giovanni n'est pas pour autant un nouveau dans le métier car il a un passé dans le roman, le scénario ou les dialogues. Nul doute que d'avoir travaillé avec des réalisateurs prestigieux comme Deray, Enrico ou Sautet a dû contribuer à lui forger une belle expérience.
"Le rapace" est un film tiré d'un livre de John Carrick publié en France dans la Série Noire mais je ne pourrai pas en parler ne l'ayant jamais trouvé …
Le scénario décrit l'histoire d'un mercenaire "étranger" au service des (bonnes ?) causes qui veulent bien payer. Là en l'occurrence, il s'agit de tuer le président de la république d'un pays imaginaire d'Amérique Centrale (Honduras, Guatemala ou Mexique au vu des panneaux de signalisation) en 1938 pour lui substituer un jeune idéaliste, petit-fils d'un ancien président. L'astuce scénaristique, c'est que le jeune va participer à l'assassinat de sorte qu'il puisse endosser "le crime libérateur" (de l'oppression) et asseoir son pouvoir (sur le peuple).
Le film est tourné au Mexique avec des acteurs mexicains non doublés donnant un certain cachet d'authenticité
Le héros du film, celui qui joue le rôle du mercenaire, n'a pas de nom, que des surnoms. Mais tout le monde en France le connait bien car c'est Lino Ventura…
Dans la première partie du film, on assiste à une espèce de huis-clos entre le mercenaire aguerri et revenu de toutes les avanies et trahisons et le jeune blanc-bec qui croit en la révolution (purificatrice). Les deux se jaugent, se mesurent, s'affrontent verbalement. Il est clair que le jeune ne fait pas le poids et Ventura a bien vite percé à jour la mascarade à laquelle croit, dur comme fer, le jeune. "Le pouvoir ne se partage pas" essaiera de convaincre le mercenaire qui connait bien trop ces manigances dont on n'est vraiment sûr que d'une chose, c'est que le "peuple" et les "naïfs" sont les seuls à la fin à passer à la caisse.
De ce point de vue, le film s'apparente à un parcours initiatique du jeune car dès lors que l'assassinat est commis, brusquement les cartes sont abattues et le jeune idéaliste découvre l'envers du décor, un monde de trahison et de jeu individuel. Et le personnage joué par Ventura est assez remarquable car au-delà de son nihilisme, il conserve des principes. Le personnage est même assez complexe car n'a aucune illusion sur les hommes politiques et sait parfaitement que dans son métier la reconnaissance n'existe pas et qu'il n'y a guère qu'une règle : c'est de s'éloigner très vite, en se faisant tout petit, du théâtre des opérations. Que ce soit dans la victoire ou la défaite, les mercenaires sont très vite très encombrants. Mais ici, Ventura fait la part des choses entre les pourris qui tirent les ficelles et ce jeune destiné à être une victime expiatoire.
J'aime beaucoup le rôle tenu par Ventura qui joue durement tout en laissant supposer la complexité du personnage sans rien dévoiler. Seul le jeune croit entrevoir que Ventura n'est peut-être pas qu'un simple tueur à gages. J'en veux pour preuve la scène où Ventura s'empare du gri-gri du jeune (pas mieux comme expression) mais n'osera pas le rompre. Seul le jeune, peu après, le rompra de lui-même se montrant à lui-même sa propre évolution.
D'une façon générale, j'ai trouvé le film bien mis en scène dans ces paysages mexicains, bien joué et bien accompagné d'une musique de François de Roubaix.
C'est un très bon film dont on ne mesure pas forcément la profondeur et où on peut reconnaitre certains traits de Giovanni qui a, lui-même, été confronté au jeu politique de ceux qui cherchent à s'approcher ou à se maintenir au pouvoir en période trouble.
"Le pouvoir ne se partage pas"