Je me suis intéressé à Rohmer assez tard dans ma "cinéphilie" puisque je savais que c'était plus ou moins naturaliste et assez bavard et que je n'allais pas forcément apprécier. Grand bien m'en a pris car si j'avais vu ce film il y a 5 ans j'aurais trouvé ça moyen voir médiocre. Mais en fait c'est magnifique.


Delphine nous est présentée dès le début du film comme une fille larguée, par sa copine avec qui elle devait partir en vacance et qui annule au dernier moment, et surtout par son mec, depuis 2 ans. C'est surtout ça qui compte. Depuis elle est totalement obsédée à l'idée de retrouver l'amour.


Rohmer met parfaitement en scène la solitude de Delphine : Delphine à la plage, Delphine en forêt, Delphine à Paris, Delphine à la montagne, mais Delphine toujours seule. Delphine avec une copine, deux copines, Delphine avec un groupe d'amis (pas les siens), Delphine dans une foule, Delphine en flirt, mais Delphine seule. Il n'y a pas un seul moment du film ou la pauvre Delphine n'est pas en train de ressasser son malheur.
Ca donne cette scène magnifique où part des plans très simples Rohmer nous présente Delphine (seule et non accompagnée) faire une balade. Elle marche, se force a s'intéresser au paysage, puis elle s'avoue vaincue, elle fond en larmes.
J'ai noté également la maitrise du hors champ dans ce film qui est aussi permis par la simplicité et le côté répétitif du scénario : puisque nous suivons toujours Delphine, son absence dans un plan est toujours révélateur. Ainsi quand elle s'incruste chez des amis d'amis, un des plans nous montre une grande table où tout le monde discute, mais pas de Delphine. Second plan, une table plus petite avec peut-être deux ou trois personnes. Toujours pas notre Delphine. Finalement, le troisième plan nous la révèle en discussion avec l'enfant d'un des couples, elle s'est elle-même exclue du groupe des adultes (d'ailleurs elle gène le passage, l'un des adultes l'enjambe).


Autre utilisation du hors champ, cette scène de double date : à droite la nouvelle amie de Delphine, suédoise qui vient en France prendre du bon temps et son amant potentiel, à gauche Delphine et son amant moins probable. Alors qu'au début de la scène la caméra alterne champ et contre-champs sur chacun des couples, très vite elle ne s'attarde plus que sur la suédoise et son flirt. Si le courant passe bien de ce côté de la table et que la caméra s'y attarde, on voit bien que c'est car réciproquement, rien ne se passe de l'autre côté, ce qui libère du temps (ou plutôt de l'espace).
Ce qui sera insupportable pour Delphine et mettra fin à la scène, ce n'est pas qu'elle ne soit pas intéressé par l'homme qui lui a été imposé, mais que lui-même ne le soit pas et semble davantage attiré par cette suédoise du côté droit de la table.


Delphine est d'ailleurs assez contrariante, elle rejette bien des hommes, elle ne mange pas de viande (je ne sais pas comment le végétarisme est vue dans les années 80 mais scénaristiquement c'est fait pour embêter tous les autres personnages), et autres indices que j'ai oublié depuis que j'ai vu le film. Mais son intransigeance sur ses choix ou ses goûts ne sont jamais là pour dénigrer Delphine, après tout elle a bien le droit de chercher le parfait amour.


Tout est simple dans ce film. Cette simplicité sert à la fois les scènes de dialogue qui sont l'occasion pour Delphine de verbaliser son malheur et de donner un contexte afin de préparer aux scènes de solitude qui sont d'une justesse absolue.

Blobfavenger
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le 22 mars 2022

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