J'avais entendu d'un ami que les auteurs américains en sciences sociales avaient tendance à faire du storytelling, à mettre en avant des concepts simples qui permettait d'englober les grands mouvements historiques au détriment de la vérité. A l'inverse les auteurs français seraient jugés "chiants" parce qu'ils n'oseraient pas donner d'explications aussi évidente, ce qui rendrait la lecture moins ludique.
J'avais déjà ressenti ça à la lecture du Homo Domesticus de James Scott, qui multipliait les concepts et les regroupaient finalement tous dans celui de domestication et qui permettait de donner un sens à l'histoire. A l'inverse la lecture d'un Eric Cline (qui est aussi américain) et de son "The Year civilization collapsed" m'avait assez frustré puisqu'il présentait une série de causes tout en admettant régulièrement qu'on ne savait pas exactement dans quelle mesure elle était déterminante ou non. Malgré toute la sympathie que j'ai pour cette honnêteté, j'ai fini le livre avec l'impression de n'avoir rien appris de ce que l'introduction m'avait déjà expliqué.
David Graeber à l'inverse est extrêmement sûr de lui. C'est avec une extrême confiance qu'il avance des théories fumeuses et finalement peu intéressantes sur le romain de chevalerie, la coincidence de l'émergence de la monnaie métallique et de la philosophie dans plusieurs régions du monde, ou des spéculations sur le goût pour le risque de l'aristocratie astèque. Même sans ces cas extrême, on se doute que dans ce genre de livres qui traite de manière très large d'une foule de sujets auxquels on ne connaît rien, une partie des propos de l'auteur nous sera au mieux invérifiable sur le moment au pire fausse.
Le livre est très long et d'un chapitre à l'autre, voir au sein d'un même chapitre, on sent que l'auteur se perd dans la multitude de thèmes sur lesquels il veut avancer et qu'il oublie certaine fois de mettre en relation de manière explicite. Il faut dire que pour nous parler de dette, il se met à faire d'énormes détours sur l'histoire des grandes civilisations, sur des peuples méconnus, ou sur l'origine cosmique de la dette.
Malgré tout, c'est bien le foisonnement de concepts et d'idées qui sauvent finalement le livre. D'abord, il faut reconnaître qu'une partie de ce que propose l'auteur est intéressant : la première partie sur l'origine de la monnaie est à la fois cohérente et riche en exemples. Si la cohérence n'est plus si constante dans la suite du livre et que les explications de Graeber ne sont plus si toujours convaincantes, il n'en reste pas moins que l'énormes quantités d'exemples parle pour lui. Si on ne peut pas en tirer un mouvement général ou un sens de l'histoire, on peut simplement s'émerveiller de la diversité des modes de la dette, des modes de la monnaie, des modes capitalistes. Au vu du peu de confiance que j'accorde à l'auteur, je ne suis pas sûr que tout ce que j'ai retenu soit vrai, mais disons que cette lecture a réagencé ma vision de l'économie et de l'émergence des marchés d'une manière marginalement plus exacte que celle que j'avais avant. Mais du coup, il faudra lire plus de livres et ca n'arrange pas l'état de ma bibliothèque.