Si Jean-Luc Godard n’est plus venu à Cannes depuis longtemps, même lorsqu’il a reçu un Prix du Jury pour Adieu au Langage en 2014, son ombre ne cesse de planer sur la Croisette, comme lorsque l’affiche de la 69ème édition du Festival de Cannes reprenait un plan du film Le Mépris. Cette année, il est encore présent à travers le regard de Michel Hazanavicius qui s’est lancé dans l’entreprise de réaliser un biopic sur le cinéaste de la Nouvelle Vague. Un projet délicat et ambitieux, d’autant plus les principaux concernés, à savoir Jean-Luc Godard et Anne Wiazemsky, sont encore en vie. Le Redoutable prend donc place au début de leur relation, quelques temps avant les événements de mai 1968. Cette période est un tournant pour JLG qui prendra la décision radicale de « se suicider artistiquement » pour renaître aussitôt avec la volonté féroce de casser tous les codes d’un cinéma qu’il juge soumis au diktat de la société gaulliste. Ce changement de personnalité influera considérablement sur la relation qu’entretiendra le réalisateur de Pierrot Le Fou avec sa compagne. Il est d’autant plus amusant de voir un écho entre Hazanivicius et Godard puisque ce dernier a souhaité renaître après le fiasco de son film La Chinoise tandis qu’Hazanivicus sort également de l’échec critique et public de The Search.
Le biopic sur Jean-Luc Godard avait tout pour être un projet casse-gueule mais la patte Hazanivicius permet à Le Redoutable d’être un objet cinématographique réjouissant à défaut d’être indispensable.
Adapté du roman autobiographique Un an après d’Anne Wiazemsky, Michel Hazanavicius traite le sujet sous la forme d’une comédie méta dont les clins d’œils amuseront assurément les cinéphiles. Les multiples trouvailles pour casser les codes renvoient évidemment au cinéaste franco-suisse qui a passé sa vie à trouver des alternatives aux codes traditionnels du cinéma. Il apporte une audace visuelle qu’on ne saurait voir dans un cinéma plus classique et qui apporte une inspiration pétillante et drôlissime à qui comprendra. Autre point fort : Louis Garrel est indéniablement Jean-Luc Godard. Des traits du visage à ses tics de langage en passant par son attitude corporelle, l’imitation est parfaite. De là à dire qu’il méritait le Prix d’Interprétation, il n’y a qu’un pas. Stacy Martin éblouit par son charme et sa discrétion en ingénue profondément amoureuse du cinéaste Godard, moins du révolutionnaire politique qu’il est. Il faut cependant reconnaître que l’entreprise du réalisateur de The Artist tourne un peu à vide et qu’elle ne saura plaire qu’aux cinéphiles avertis, le grand public étant loin de ces considérations. Le Redoutable apparaît donc une œuvre profondément cannoise ou du moins cinéphile exigeante, tant elle ne peut que s’attirer les acclamations d’une audience qui estime encore l’impact du génie de la Nouvelle Vague. Le Redoutable n’est donc ni plus ni moins qu’un objet filmique cocasse dont les plus fervents cinéphiles se gausseront de l’humour hazanaviciusien et de la forme peu commune du portrait d’un cinéaste révolutionnaire engagé au bord d’une inévitable rupture. Anecdotique mais suffisamment réjouissant pour valoir le coup d’oeil.
Critique CSM publiée lors de sa projection cannoise.