Loin du Biopic complet sur le cinéaste, le film ne s'intéresse qu'a une petite partie de sa vie, la partie de doutes sur son art, sur lui-même en tant que cinéaste et en tant qu'homme de la société dans laquelle il vit et dans laquelle il sent qu'il peut être un rouage du changement qu'il désire tant.
Puisque le film parle de révolution et de changement, autant l'appliquer aussi et plutôt que de garder mes réserves pour la fin, je vais étaler dès le début ce qui m'a le moins plu dans le film :
le film est vraiment trop politique à mon gout, je sais que c'est le sujet (enfin presque) et il nous le fait bien comprendre en commençant directement sur le tournage du film Maoïste de Godard (la chinoise), le récit à un vrai fond mais la politique ça me gonfle et ici pareil, bien que j'e ne m'ennuie pas grace à l'écriture et la réalisation le sujet m'ennuie, comme le cinéaste antipathique qui gonfle presque toutes les personnes avec qui il parle dans le film.
Au-delà de ça, voila un film qui parle surtout de cinéma et qui s'amuse à se jouer des codes, comme l'a pu faire la nouvelle vague à qui le métrage fait un vibrant hommage plus qu'a Godard lui-même au final.
N'hésitant absolument pas à briser le quatrième mur de façon direct, souvent subtil et parfois très discret mais présent, le cinéaste ( Michel Hazanavicius réalisateur du film, pas Godard le personnage hein) joue avec des codes qui ont été créés pour détruire et redéfinir d'autres codes (les classiques du cinéma), il comprend, digère, pense et repense, les retournes et s'amuse avec complètement, une régale pour les cinéphiles et ceux qui connaissent bien le langage du cinéma !
Grâce à ce stratagème il se joue aussi du monde du cinéma, exemple : l'acteur qui joue le personnage de Godard dit "je n'aime pas les acteurs, je suis sûr que si tu demandes à un acteur de dire que les acteurs sont cons, il le fait", tout en regardant la caméra (donc nous) et cette mécanique est utilisée plusieurs fois dans le film comme les personnages qui se demandent pourquoi dans les films ils font toujours ceci ou cela, alors qu'ils sont justement en train de le faire en ayant cette discussion !
Je pense que Le Redoutable est un excellent film pour apprendre à analyser les films et comprendre que le langage cinématographique cache souvent beaucoup de choses qui ne sont ni montrés ni dites directement mais qui sont là pour les spectateurs, merci Michel !
Le langage, c'est l'élément le plus important du film, au travers des dialogues incroyablement bien écrits, chaque mot appuyé ou qui n'est pas dit directement aux protagonistes est très important, quand quelque chose d'essentiel est dit, presque à chaque fois il est déclaré en regardant ailleurs ou en parlant à quelqu'un d'autre, mais jamais directement à la personne concernée, tout comme les mots écrits, que ça soit un graffiti sur un mur, un sticker, un mot sur une feuille, si vous pouvez le lire ce n'est qu'il n'est pas dénué d'importance, que ça soit limpide ou à analyser pour comprendre, parfois même on peut découvrir lentement une phrase à la caméra tout en essayant de suivre le dialogue souvent moins intéressent que le texte et qu'on nous force à écouter, c'est aussi ça une expérience de cinéma, une révolution dans la manière de suivre les choses pour notre cerveau.
Hazanavicius (un des meilleurs cinéastes de sa génération soit dit en passant) offre une ode aux (premiers) grands films de Godard, des cadrages, des plans, des scènes même ou encore des artifices que l'on utilise plus (décors défilant pour la voiture et train par exemple), vraiment beaucoup de scènes pourraient sortir tout droit d'un des films de Godard, pleins de clins d'oeil à "
A bout de souffle" et surtout "Pierrot le fou" que les fans ne manqueront pas de relever et c'est fait d'une fort belle manière, respectueuse sans jamais faire faux ou trop hommage copié/collé.
Du noir et blanc, du négatif, des faux raccords (plus discret que dans les films de Godard cela dit), le montage de la musique et un gros travail sur le son que ça soit pour des gags ou bien pour le récit bien que cela puisse paraître illogique parfois, ou encore des figurants qui ne font absolument rien et en ne bougeant pas au lieu de bouger et parler pour rendre la scène réaliste pour montrer qu'il ne sont "que" des figurants... on a l'impression de voir un film qui se situe entre le film classique qui parle de la nouvelle vague et un film de la nouvelle vague qui montre ce qu'elle est (enfin ce qu'elle a pu être) et quand on décrypte tout ça, on se rend compte que c'est fort, c'est très fort même, la réalisation est d'une intelligence qui force le respect et nous pousse à aller plus loin que le simple visionnage d'un film (ça me rappelle qu'un personnage dit qu'il préfère suivre une belle histoire sans prise de tête pour juste se divertir alors que Godard fait justement la tête en les prenant tous de haut).
Un film qui ne plaira peut-être pas à ceux qui prennent le cinéma comme une simple détente, juste une distraction, mais un film de cinéphile d'une grande richesse et qui prouve une fois de plus qu'au milieu des centaines de bouses que nous lance le cinéma français à la tronche, ce cinéma qui était présent à son tout début, à l'âge d'or et à sa révolution, peut encore parfois offrir un cinéma intelligent, inventif, osé et excellent !