Nous cherchons tous le monde originel de la Pureté, celui d'avant le Péché originel, un monde que nous appelons quelquefois Révolution . Avec l'âge toutefois nous sommes de moins en moins enclins au Pardon, la grande faiblesse de notre éducation chrétienne. Et pourtant si un cinéaste doit être pardonné, c'est bien Jean-Luc Godard, ne serait-ce que parce qu' il est l'auteur d'un cinéma amoureux, un cinéma fait de remises en question, de liberté revendiquée et de jeunesse perpétuelle. Et si le caractère un peu particulier du JLG décourage parfois, tout peut s'expliquer quand on a eu des débuts comme lui...
Jean-Luc Godard a commencé sa carrière comme clown dans un cirque, par esprit de révolte envers son éducation austère et calviniste, tout le monde connaît l'histoire. Il restera à jamais blessé par cette expérience traumatisante. Recevoir tous les jours des seaux d'eau glacée dans la figure devant un parterre de moutards bruyants et incultes accompagnés de leurs parents hilares et souvent cocus, voilà qui pourrait expliquer d'après les plus sévères des psychanalystes freudiens et même anti-freudiens la mésentente de Godard avec chacun(e) de ses partenaires de cinéma successifs, sa haine des effets faciles et son ressentiment profond et durable envers le spectateur-consommateur moutonnier (et petit-bourgeois).
Godard essaiera de se venger froidement de ses humiliations publiques en humiliant plus qu'à leur tour ses interlocuteurs, même et surtout ceux qui l'admiraient le plus.
Le premier Godard était un jeune cinéaste brillant, faisant preuve d'un humour anti-conformiste oscillant entre Buster Keaton et Bertold Brecht qui séduisait les jeunes femmes comme Anne Wiazemsky. Il était amoureux de cette jolie fille plus jeune que lui de 17 ans et se voyait déjà père (père de Josette). A cette époque-là on pouvait même voir Godard sourire !
Après avoir répondu aux attentes du public cinéphile par des films comme A bout de souffle, le Mépris ou Alphaville il plongera dans le mouvement étudiant de mai 68 comme certains plongent dans une dépendance à la religion-opium du peuple et ne s'en remettra jamais." Ce qui m'intéresse dans le mouvement étudiant c'est le mouvement, pas les étudiants !" L'humour des débuts fera place à un sérieux digne d'un journaliste du Figaro et les jeux de mots potaches lancés à sa copine laisseront leur place dans les rapports à la jalousie maladive et à la misanthropie galopante.
Son œuvre comportait certes jusque là une légère part de provocation. Il dénonçait la télévision française abrutissante et un certain cinéma français d'avant les années 60, dénommé pudiquement le cinéma de papa. A son crédit on peut lui reconnaître d'avoir ringardisé les Duvivier – Delannoy – Autant-Lara dont les films d'une noirceur, d'un pessimisme et d'un conformisme rebutants ont dû pousser au suicide des générations entières de cinéphiles.Mais Godard basculera ensuite dans un nihilisme digne d'un Maurice Papon avant de se retourner contre sa propre production elle-même et de saboter son propre cinéma. Il fera par la suite selon ses propres termes des films « méchants, grossiers et caricaturaux » à partir de 1967 (simple discours un brin narcissique de pseudo auto-destruction).
Le maoïsme aurait été selon Godard une bonne opportunité politique pour tenter de purger définitivement le cinéma français en envoyant ses représentants les plus arrogants cultiver du riz dans le pays radieux de Guyane. Hélas, le maoïsme ne durera en France que le temps d'un trop court éternuement du dragon. C'est à cette époque de rupture politique et sentimentale qu'il tourne la Chinoise connu également sous le titre « la Tonkiki-la Tonkinoise ».
Godard opérera un virage vers un cinéma exigeant prenant bien soin de faire rire moins de douze personnes par film et refusant la facilité bourgeoise consistant à avoir du succès. Car il est bien plus difficile de faire rire douze personnes dans la salle qu'une salle entière. Et avec l'âge JLG deviendra de plus en plus intransigeant. Il sera difficile à suivre dans ses raccourcis sémantiques. Godard affirmera haut et fort ne plus vouloir être traité de professionnel de la réalisation et préférer le qualificatif de contestataire de la profession. Un journaliste écrira le lendemain qu'avant il travaillait comme un Pro, mais que dorénavant il avait décidé de bosser comme un Con (un contestataire de la profession). Ce trait d'esprit restera gravé et sera même amélioré : il sera surnommé le plus Con des Suisses pro-chinois. Quelle tristesse ! Et quoi qu'il fasse désormais ce surnom le poursuivra dans le milieu fermé des professionnels de la profession.. Ainsi dans un cocktail il avait demandé de préparer uniquement des toasts au gruyère et au chocolat. Le jour même un slogan passait en boucle dans les rédactions « le Con fait des rations helvétiques »...Quoi que fasse le génie, il sera toujours victime du snobisme le plus bas de la part de la critique...
Avec une constance remarquable JLGodard essaiera de casser et son image et ses surnoms afin de mieux se renouveler. Il signera ex-Godard afin de démontrer sa volonté de délaisser sa filmographie passée pour s'aventurer vers des directions nouvelles. Le nouvel avatar de Godard s'appellera désormais Révolution. Révolution fera une tentative de cinéma ...révolutionnaire avec le groupe Dziga Vertov (toupie tournante). C'était l'époque des collectifs d'artistes militants comme le groupe Zanzibar ou le groupe Action Directe qui prônaient la prise de décision collective pour le plus grand bien de chacun. Pour Godard ce sera l'occasion d'expérimenter sa nouvelle identité politique mais avec un regain de sérieux digne cette fois d'un Pinochet ou d'un membre de l'Opus Dei. Anne Wiazemsky ne le suivra pas, le public non plus. La nouvelle profession de foi était pourtant révolutionnaire au sens littéral du terme : « Je suis une toupie tourbillonnante et je tournoie ! ». Mais la direction collective de ses films sera coincée entre l'autogestion participative infructueuse et le dirigisme d'un « patron petit-bourgeois et facho » selon les termes alors en vogue du collectif.
L'aboutissement de cette expérience unique dans le cinéma français sera un cinéma « sans scénario, sans acteurs, sans théâtre... et hélas sans spectateurs » comme le film Vent d'Est western maoïste.
Il me reste deux minutes pour parler du film. Je ferai vite car je tiens un bâton de dynamite que je vais bientôt balancer sur les anti-Godard. Le Redoutable (excellent Louis Garrel ) du nom d'un sous-marin insubmersible, nous fait revivre la reconstitution de mon Paris bien-aimé dans sa plus belle période de ces cinquante dernières années, je parle de mai 68 bien sûr, avec les manifs , les grèves générales et les drapeaux rouges. Et c'est un régal de relire les slogans réjouissants qui fleurissaient à l'époque.
« D'un homme on peut faire un flic, un para, un curé et ne pourrait-on
en faire un homme ? »
ou
« L'aboutissement de toute pensée, c'est le pavé dans ta gueule,
CRS ! »
« Sheila enfin heureuse ! »
« Laissez la peur du rouge aux bêtes à cornes (Victor Hugo) »
« Défense d'éléphant !»
Toute une époque si proche illustrée par Godard ou Chris Marker.
Je m'aperçois ici que j'ai parlé de Godard ou de l'ex-Godard un peu vite, comme s'il avait toujours 30 ans et comme si nous étions toujours en mai 68. Hélas le temps passe tellement vite. Maintenant le bougre a abandonné le cinéma pour jouer de l'accordéon avec ses potes. Son nouvel avatar, « le vieux Léon », nous entraîne au son du piano du prolétaire dans la nostalgie d'un monde qui n'est plus. Et, désolé pour toi mon vieux,
C'est une erreur mais les joueurs d'accordéon
Au grand jamais, on ne les met au Panthéon.
Zut , c'est malin, à force de pleurer, j'ai éteint mon bâton de dynamite.