Barbara vient à peine de sortir qu’une autre sommité du patrimoine français voit sa vie projetée en grand, sur grand écran. Cette fois c’est Jean-Luc Godard, période Mao (de 1967 à 1973), qui a droit aux honneurs du vrai-faux biopic. Réalisateur et scénariste, agitateur et emmerdeur, Godard paraît résumer à lui seul la quintessence du cinéma français, chez nous comme à l’export. Qu’on l’admire, qu’on l’ignore ou le méprise, il reste (et restera) l’un des grands modernistes du septième art tels Eisenstein, Murnau ou Welles. Adapté du roman d’Anne Wiazemsky (Un an après) qui fut sa femme pendant trois ans, Le redoutable le montre, entre amusement et tendresse, en plein doute créatif et politique, aigri aussi, insolent souvent, maladroit, jaloux, méprisant, hargneux, imbuvable (n’en jetez plus), mais terriblement humain, comme cherchant à le démystifier des pieds aux lunettes, à le considérer au-delà de l’icône pop et indéboulonnable.
Après l’échec critique de La chinoise, Godard est un artiste qui remet profondément en cause son art (il a alors, déjà, pas mal de chefs-d’œuvre à son actif : À bout de souffle, Le mépris, Pierrot le fou, Masculin féminin…) et ses convictions. Comment croire à la révolution (on est en plein mai 68) quand on n’est pas soi-même un véritable révolutionnaire, quand on n’est qu’un cinéaste à la mode (mais engagé), qu’un trublion intello expert de la formule ? Mais, avant tout, comment mener et estimer sa propre révolution ? Michel Hazanavicius filme Godard (Louis Garrel, confiant et malicieux, à l’aise dans un exercice assez casse-gueule) en manque d’inspiration et d’empathie, le regarde s’agiter contre une société qu’il rejette, et surtout contre lui-même.
Son film fourmille de trouvailles stylistiques (les lunettes sans cesse cassées, l’appartement comme un Mondrian, le doublage amoureux sur La passion de Jeanne d’Arc de Dreyer…) en reprenant à son compte les gimmicks de la Nouvelle Vague, mais n’allant pas plus loin que l’emprunt express, le gadget rigolo, sans réelle mise en perspective esthétique ou cinématographique de celle-ci (si l’on excepte la scène où les acteurs dissertent sur la nudité au cinéma tout en étant… nus), bref en transformant la grammaire godardienne en vocabulaire passe-partout. Et puis il manque quelque chose. C’est bien fait et c’est souvent drôle (la prise de bec dans la voiture), pourtant il manque un vrai point de vue sur Godard autre que l’anecdote, autre que le type mal embouché, l’anar de salon et le mari fantasque, chiant sur les bords et un rien diva.
Un vrai point de vue témoignant de sa transformation artistique et sa reconversion idéologique (le groupe Dziga Vertov est évoqué à toute vitesse et ses positions gauchistes ou pro-palestiniennes comme une provocation de plus). Le redoutable peine à s’éloigner de la synthèse inoffensive, de la dédicace sympa (à l’image d’Anne, incarnée par Stacy Martin, réduite trop simplement à une baby doll boudeuse et godiche), où les scènes se répètent à la longue (en gros, Godard passe son temps à s’embrouiller avec n’importe qui et à s’énerver contre tout le monde, amis, étudiants, cinéastes…) et n’inspirent plus à la fin qu’un ennui certain, et même une indifférence quant au délitement de son mariage (Godard à bout d’amour) et à ses contradictions (sauve qui peut Godard).
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