Nous avons dans le cinéma français une forme de spécialisation de la comédie, bien qu’elle demeure le plus souvent médiocre elle peut receler des pépites tel le cinéma de Michel Hazanavicius, cinéaste du pastiche, de la parodie, de la représentation d’un cinéma ORTF avec des éléments du cinéma post Canal+ moderniser en somme. Il est l’un de nos meilleursbcinéphiles et de très loin, comme en témoigne les multiples références aux cinémas de genre français dans ses premières comédies à succès ainsi que dans son travail pour la télévision. Une période de son histoire méconnue, il a fait partie des artistes à travailler pour la nouvelle chaine Canal+ en 1993 et participe au fameux « esprit canal) dans son premier long métrage Le grand détournement ou La classe américaine (1993). Un patchwork des grands classiques hollywoodien, décortiqué, mélangé et détourné avec un redoublage français hilarant, une recette de l’absurde et première véritable tentative du cinéaste dans cet exercice de la reprise comique qui trouve un apogée sa comédie populaire OSS 117 Le Caire nid d’espions (2006) et sa suite OSS 117 Rio ne répond plus (2009). Immense succès, Hazanavicius devient une vedette qui le propulse directement parmi les meilleurs auteurs de comédie populaire en France. C’est ainsi que commence l’aventure déterminante de sa carrière qui à l’évidence est l’origine de ce Redoutable. Il est difficile pour un cinéaste de vivre une période américaine, d’espérer un american dream, plus encore quand n’est pas perçut comme membre d’une élite du cinéma d’auteur. Pourtant son film The Artist (2011) est un triomphe outre atlantique, Oscar pour son acteur Jean Dujardin, Oscar pour son film. C’est pourquoi la déception fut immense pour son premier film personnel, résultat d’une longue recherche vers un cinéma totalement différent du précédent, l’échec critique et public de The Search (2014) est tel que c’est un frein aux espérances d’Hazanavicius d’offrir autre chose que de suites à OSS 117. C’est en tout le cas jusqu’à la présentation cette année de Le Redoutable. Au carrefour de sa carrière, le cinéaste redécouvre Jean-Luc Godard, et comprend qu’il n’y a pas tant de différences entre son échec avec The Search et celui de Godard après La Chinoise (1967), ce moment où il décide d’abandonner tout ce qui composer son cinéma pour la radicalité d’un cinéma plus politique, mise en scène collective, socialiste, une métamorphose qui dépasse la compréhension du petit monde du cinéma.

Le Redoutable résulte de cette interaction évidente entre cette période de la vie de Godard et l’après The Artist de Michel Hazanavicius. Nous avons là une œuvre totalement en phase avec le style comique de Hazanavicius et le style cinématographique de JLG, et donc ce qui apparait immédiatement alors que le film débute c’est que Le Redoutable sera un délice pour tout cinéphile. Qu’importe l’adoration de Godard ou au contraire la détestation de son cinéma et de sa personne. Connaitre ou pas Godard ne change rien au film, Le Redoutable est un condensé astucieux de la figure mythique de Godard à la fin des années 60, avec une reconstitution magistrale des émeutes et manifestations de mai 68, comme des longues réflexions du cinéaste sur son avenir. Dans Le Redoutable, Godard est conscient d’être un acteur qui joue Godard, il s’adresse directement à la caméra, se recentre uniquement sur luimême, lui Jean-Luc Godard co-fondateur de la nouvelle vague, cinéaste iconoclaste et légendaire, en pleine crise existentielle, le bourgeois maoïste. Confronté à la fausse révolution de mai 68 il révolutionne son propre cinéma, veut révolutionner le cinéma là ou ses camarades s’enlise selon lui dans la routine et le conformisme. Le Redoutable se veut une retranscription de ces évènements, mais surtout un portrait de Godard, on y découvre un bonhomme aigri et critique sur sa propre condition.

Un intellectuel cruel avec ses ami(e)s, un artiste en vogue qui ne cherche plus à plaire, qui se déteste et qui ne rêve que d’un renversement des choses, dans la société et surtout dans l’art. Accablant l’Art inerte qui à résulter de la nouvelle vague, il renie tousses grands succès, provoque avec ses camarades Truffaut ou Chabrol provoquant manu militari la fin du Festival de Cannes, et s’aborde volontairement son image. Son entreprise étant de faire sombrer son être et son art dans l’abime, prenant comme métaphore de son existence avec Anne Wiazemsky le sous-marin Le Redoutable. Anne est l’objet voluptueux du film comme de la vie de Godard, un objet oui, tel la vision qu’a Godard de son entourage. Interprété avec douceur mais aussi avec caractère par Stacy Martin, cette jeune femme d’apparence mondaine fantasme sa vie avec un artiste aussi illustre que Jean-Luc Godard, elle se confronte à lui constamment, ne se sent plus aimer. Anne représentant ce vieux cinéma de Godard, sans plus d’intérêt, élément d’un passé qu’il regrette, qu’il considère comme une éminence d’un art pompier et commercial qu’il rejette avec violence. En témoigne, ses mots contre Anne, contre la société, dans les manifs et évidement dans ce que ne montre pas le film, le reste de la filmographie de Godard.

Ainsi va la vie à bord du Redoutable

Hazanavicius joue avec malice des codes cinématographique de Godard, décors colorés, montage et cadrage nous embarque dans un catalogue de références aux films de Godard, tout ceci est un délice pour le cinéphile, un amusant puzzle qui se joue entre le réalisateur et le spectateur. Une mise en scène qui demeure celle d’Hazanivicius, évitant ainsi de se perdre dans un puits artistique de références qui aurait retiré toute identité propre au film. Maitre de la comédie, Michel Hazanivius se joue des codes des comédies burlesque, passant de Jerry Lewis à Keaton, reprenant pour les dialogues son style premier de La classe américaine, des sous titres révélant les pensées des protagonistes, les apartés au spectateur et les voix off sont autant les empreintes d’un cinéma de Godard que du travail du réalisateur des OSS 117 ou The Artist. Le dernier film de Michel Hazanavicius Le Redoutable est avant tout une comédie et non un biopic, un film sur des acteurs avant d’être un film sur un cinéaste, sur le cinéma et non Godard, sur une époque, un temps et un style recopié par Hazanivicius tel Godard refaisant ses premiers films avant de les abandonner. Ajoutant à cela, un casting intéressant, Louis Garrel compose son Godard et n’est pas intéresser par l’imitation, par la copie, il réussit à en faire une composition et transperce l’armure du « génie » pour faire apparaitre le sale type, l’odieux faquin qu’est Jean-Luc Godard. Bref on aime Le Redoutable a défaut d’aimer Godard.

Mastagli_Alexandre
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Créée

le 30 mai 2022

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