La guerre sans haine ou sans questions qui fâchent ?
Film classique dans sa forme, ce Renard du désert n'en pose pas moins des questions intéressantes sur le second conflit mondial.
James Mason, impérial, mais est-ce une surprise, redonne vie à un Rommel se voulant authentique. Soldat plus que Nazi, il se rend petit à petit compte de la folie d'Hitler et, au soir de sa vie, rejoint le complot visant à l'éliminer. On connait l'histoire, Hitler survit à l'attentat d'août 1944, Rommel est poussé au suicide pour sauver son honneur et sa famille.
Le film reprend le point de vue d'un Anglais en pleine Guerre Froide. Il faut bien avoir ceci en tête car ces faits expliquent beaucoup de choses. Primo, la mise en avant régulière de meilleur ennemi de Rommel, Montgomery, présenté comme étant carrément un "renard encore plus talentueux". Bel hommage pour un Maréchal médiocre, comme l'a prouvé sa campagne de Normandie puis le fiasco de l'Opération Market Garden, homme vaniteux se vantant d'avoir expulsé l'Afrika Corps à ... 1 contre 10, et encore je reste mesuré. Ce point de vue britannique est aussi intéressant dans le magnétisme que Rommel a exercé sur le Royaume-Uni ; la conclusion du film, avec le discours de Churchill, en est un éclatant exemple, tout comme ce surnom de Renard du Désert, et la lettre de Auchinleck pour chasser de l'esprit des soldats britanniques l'aura quasi surnaturelle entourant le général allemand.
La Guerre Froide est aussi un élément me semblant important : le film date de 1951. Les Allemands honnis sont devenus pour partie les habitants d'une RFA en première ligne face aux Soviétiques. L'ennemi a changé et ça fait du bien de montrer que certains Allemands n'ont pas été des monstres.
Le film ressemble à un documentaire ; une voix off nous accompagne de 1941 à 1944, scandant chaque événements majeurs, ici Tobrouk, là El-Alamein, là encore le Jour J. Entre deux séquences où Mason campe un Rommel de qualité, nous avons droit à des extraits de documentaires d'époques, avec moults combats, duels d'artillerie et autres bombardement. Ces derniers sont bien montés, donnent un vrai rythme MAIS, par facilité ou fainéantise, on se retrouve avec des archives pas toujours correctes : ici des Stukas de la Campagne de France pour un assaut de désert, là de l'artillerie anglaise de 25pdr ou 8 pouces censée devenir de la DCA, là, encore, des images de débarquement .... dans le Pacifique.
Pour autant le film mérite le détour car il accorde une place, assez rare, au point de vue allemand. Le fait que Rommel fût un Nazi est totalement éludé ; il est présenté comme un soldat chevaleresque, ce qui est un peu dérangeant et tend à brosser un portrait hagiographique. Mais le film évoque les doutes, nés de la défaite imminente plus que de la folie d'Hitler. A bien y réfléchir, Von Rundstedt et Rommel critiquent Hitler comme étant un simple caporal de plus en plus taré, alors que eux, véritables officiers, ont tout compris. C'est un peu aisé mais correspond à l'image que les généraux allemands ont voulu laissé après guerre : Hitler était un fou bercé d'occultisme, un nazi entouré par quelques autres tarés alors que les généraux, les vrais, l'élite Prussienne en quelque sorte, n'était faite que de soldats patriotes. Assez subtilement on insiste sur Keitel, chien de garde d'Hitler, histoire de nous montrer qu'une partie de l'Etat-major était quand même de la belle saloperie ; cool, ça dédouane encore plus ce cher Rommel. Place est faite à sa femme, ce qui est assez juste. C'est par elle que vint la lumière.
Rommel a su créé, comme César avec sa Guerre des Gaules, sa légende dans son recueil, "la guerre sans haine". Ce film rend hommage à cet homme plus complexe qu'on veut bien le dire, de façon sans doute trop sympathique mais sans que l'on puisse non plus crier au pure mensonge. Les questions qui fâchent sont simplement éludées, pour insister sur le génie tactique du soldat et à son glissement progressif vers une forme de raison. D'ailleurs, quant à l'attentat contre Hitler, si vous êtes allergiques à Tom Cruise et son "Walkyrie", foncez sur un bijoux : "La Nuit des Généraux".
Reste un film intéressant, classique, mais qui ne pourra certainement ravir que les initiés ou amateurs de la période. On reste cependant bien en-deçà du portrait consacré à Patton par Franklin J. Schaffner et on attend toujours quelque chose sur Montgomery ... En attendant, c'est toujours un plaisir de retrouver James Mason.