Un écrivain agressif,gueulard et alcoolique est assassiné.Le policier chargé de l'enquête interroge les clients et le personnel du bistrot où le défunt avait ses habitudes,tous ayant de bonnes raisons d'avoir commis le meurtre.Ce film fait partie de la dernière période de la carrière de Jean-Pierre Mocky,qui en tournera quand même ensuite encore neuf de 2014 à 2017.Le cinéaste a connu son apogée dans les années 70-80 avant de décliner inexorablement et de se replier sur un modèle économique restreint qui a permis à ce boulimique de pellicule de continuer à enquiller des dizaines de films.Mocky était donc devenu à la fois réalisateur,producteur,via la Mocky Delicious Products,scénariste,monteur,souvent acteur principal,confiant en outre les principaux rôles féminins à ses compagnes du moment,ainsi que distributeur et propriétaire de salles dans lesquelles il diffusait ses oeuvres.Il fut ainsi de 1994 à 2011 le patron d'un mythique cinéma de quartier du 10e arrondissement parisien,"Le Brady",un des derniers du genre,version française des grindhouses américains que Tarantino a remis au goût du jour.Il existe sur ce lieu un excellent ouvrage de Jacques Thorens,"Le Brady,cinéma des damnés",et quelqu'un sur le site peut vous en parler en connaissance de cause puisque notre camarade Pat Monkey,authentique projectionniste,y a travaillé.Mocky a revendu le Brady pour acheter l'Action Ecoles,qu'il a rebaptisé "Le Desperado".Donc,à partir des années 90,le système Mocky,basé sur un anarchisme puéril et de la provoc à deux balles,s'est vu complètement dépassé à l'heure de l'argent roi et du cynisme généralisé.Il est alors devenu,comme il le disait lui-même,"underground",bricolant vaille que vaille dans son coin des films passant la plupart du temps inaperçus et devenant en quelque sorte le pendant populaire de l'intello Godard,tous deux bénéficiant de leur aura passée qui était sans commune mesure avec leur faible nombre d'entrées.Même compte-tenu de ce contexte hasardeux,"Le renard jaune" est assez honteux.Totalement dépourvu de rythme,le film se traîne lamentablement au gré d'une intrigue policière à la Agatha Christie,shootée en un décor quasiment unique par souci d'économie, dont tout le monde se fout éperdument.L'auteur adapte ici un roman de David Alexander datant de 58,"The madhouse in Washington Square",qu'il voulait déjà porter à l'écran en 67 avec dans les rôles principaux Bourvil,Maurice Chevalier et Simone Signoret,mais ça ne s'était pas fait à l'époque.Il est à noter que c'est une habitude chez JP d'adapter des polars anglo-saxons,surtout américains,ce qu'il a fait quinze fois depuis "Un linceul n'a pas de poches" en 74 jusqu'à "Tu es si jolie ce soir" en 2015,car il était fasciné par les States au point d'avoir déclaré dans les années 80 ou 90 qu'il allait partir travailler là-bas,ce qu'il n'a évidemment jamais fait.Rien ne fonctionne dans cette oeuvrette à l'esthétique de téléfilm très daté,qu'il s'agisse de l'insupportable musique lancinante et vieillotte pourtant signée Vladimir Cosma,de l'intrigue sous-traitée dont le dénouement s'avèrera franchement décevant,des dialogues niais ou de l'impression de fausseté qui irradie l'ensemble.Parce que tout sonne faux,des décors "à l'ancienne",avec leurs enseignes au look sixties,qui ressemblent à ces faux villages reconstitués à l'intention des touristes,aux rares figurants figés qui arrivent même à "passer faux",sans oublier ces scènes méchamment foirées par le réalisateur,à l'exemple de celles du crime ou de la fessée,dans lesquelles les coups sont visiblement portés à côté,ou celle,tout-à-fait ridicule,de la tentative de viol.Mocky a certes toujours pratiqué un cinéma foutraque,mais là c'est du boulot digne d'un amateur.Ce qui peut surprendre est le casting prestigieux aligné pour l'occasion.Mais il faut préciser que Mocky,en France,c'est un peu comme Woody Allen aux USA,enfin avant parce que ça risque de se gâter pour le new-yorkais maintenant.Ce n'est pas payé mais ça fait bien sur un CV d'acteur.Et puis,à bien y regarder,les comédiens en question,atteints par la limite d'âge ou la chute de popularité,ne sont plus vraiment au top de leur carrière.Manifestement livrés à eux-mêmes,ils doivent en outre se coltiner des répliques imbéciles et des personnages caricaturaux,ce qui les contraint à un surjeu qui fait qu'on en est gêné pour eux.Car Mocky tente de meubler le vide de son script en installant une ambiance qui se veut poético-burlesque sans jamais y parvenir tant l'humour ici déployé est lourd et stupide,et des personnages censés être étranges qui ne sont finalement que pitoyablement idiots.Il essaie également de s'appuyer sur les caractéristiques physiques des protagonistes,supposées compenser leur absence de psychologie.Nous avons là le zozotement et l'accent inidentifiable du pianiste,la tête du tenancier du bar qui part sur le côté,l'obésité de son fils,la puanteur de sa femme,la balafre de la belle gonzesse,le strabisme énorme du pilier de bar,ou l'uniforme fripé de l'ex militaire . Dans ce naufrage surnagent quelques scènes où la drôlerie délirante arrive à s'imposer,comme celles de l'interrogatoire du gamin ou de la morgue,et certains acteurs sauvent parfois des séquences grâce à leur talent.On peut citer Béatrice Dalle,émouvante en ex beauté balafrée,Frédéric Diefenthal,très bon en peintre maudit,ou Jean-François Stévenin,savoureux en flic décontracté.Claude Brasseur,Philippe Chevallier,Dominique Lavanant ou Robinson Stévenin,qui donne ici la réplique à son père,font le job sans grand relief,tandis que Richard Bohringer,Michael Lonsdale,vieux complices du réalisateur,et Antoine Duléry en font des caisses et font peine à voir.Derrière ces stars se profilent des seconds couteaux intéressants,notamment l'indispensable Jean Abeillé,fidèle de Mocky parmi les fidèles,l'hilarante Françoise Bertin,mamie de choc du cinéma français,la très jolie Marie-Caroline Le Garrec,qui n'a pas inventé l'art dramatique mais fait plaisir à voir,Alain Bouzigues,une des vedettes de "Caméra Café",Patricia Barzyk,encore très belle,qui fut la compagne de Mocky de 2000 à 2017,et le jeune François Viette,révélé l'année précédente dans "Les vacances de Ducobu",qui exécute un numéro stupéfiant en gros gamin goinfre et mal embouché.Sans oublier pour finir la présence de Christophe Bier,vieil habitué des films de JPM,dont il fut l'assistant et pour qui il a tenu plusieurs petits rôles.Il est surtout l'auteur d'ouvrages passionnants sur le cinéma bis dont il est un grand spécialiste.On peut citer "Eurociné",sur la célèbre boîte de prod acrobatique,"Les nains au cinéma" ou l'énorme somme qu'est le "Dictionnaire des longs-métrages français pornographiques et érotiques en 16 et 35 mm".

pierrick_D_
3
Écrit par

Créée

le 13 mars 2020

Critique lue 242 fois

3 j'aime

5 commentaires

pierrick_D_

Écrit par

Critique lue 242 fois

3
5

D'autres avis sur Le Renard jaune

Le Renard jaune
pierrick_D_
3

Critique de Le Renard jaune par pierrick_D_

Un écrivain agressif,gueulard et alcoolique est assassiné.Le policier chargé de l'enquête interroge les clients et le personnel du bistrot où le défunt avait ses habitudes,tous ayant de bonnes...

le 13 mars 2020

3 j'aime

5

Le Renard jaune
AMCHI
6

Critique de Le Renard jaune par AMCHI

Dans le temps Mocky tourna quelques bons films et s'ils ont toujours possédé un côté un peu bricolé depuis les années 90 la qualité a sérieusement baissé alors qu'en est-il du dernier en date...

le 26 avr. 2014

3 j'aime

Le Renard jaune
Christian_Attard
6

Garçon, un Mocky sec !

Richard Bohringer, Michael Lonsdale, Philippe Chevallier, Claude Brasseur, Dominique Lavanant : Béatrice Dalle, Frédéric Diefenthal, Antoine Duléry, Jean-François Stévenin, Robinson Stévenin,...

le 22 juil. 2015

1 j'aime

Du même critique

La Mule
pierrick_D_
7

Critique de La Mule par pierrick_D_

Earl Stone,vieil horticulteur ruiné,accepte de convoyer de la drogue pour le compte d'un cartel mexicain,mais le gang a la DEA sur le râble.Clint Eastwood produit le film avec sa compagnie,la...

le 25 mars 2021

29 j'aime

7

Robin des Bois - Prince des voleurs
pierrick_D_
8

Critique de Robin des Bois - Prince des voleurs par pierrick_D_

12e Siècle,pendant la Troisième Croisade.Robin de Locksley,jeune noble anglais parti guerroyer avec les troupes de Richard Coeur de Lion,est prisonnier des arabes à Jérusalem.Il parvient à s'évader...

le 3 oct. 2022

28 j'aime

22

The Ghost Writer
pierrick_D_
7

Critique de The Ghost Writer par pierrick_D_

Un écrivain anglais raté décroche le pactole lorsqu'il est embauché pour rédiger les mémoires d'Adam Lang,ex premier ministre britannique très médiatique.Il se rend dans la propriété du...

le 14 nov. 2021

27 j'aime

8